Les Conjurés De Pierre
déjà dormi dans des lits plus confortables et plus douillets, mais jamais elle ne s’était reposée sur une telle somme de culture. Elle était satisfaite de son installation provisoire.
Une chandelle posée par terre dispensait une lumière tamisée. Allongée, les mains croisées derrière la nuque, Afra réfléchissait en regardant le plafond. Il fallait qu’elle retourne à l’asile de fous pour rencontrer frère Dominique, le génie en disgrâce. Elle devait le contraindre à parler. Comment ? Elle l’ignorait encore. Il était indubitablement le seul qui puisse éclairer sa lanterne. Les allusions du vieillard étaient tout à fait pertinentes. Il avait pesé chacun de ses mots et, encore plus, ceux qu’il n’avait pas prononcés.
Couchée sur son lit de fortune, elle conçut un plan.
Elle ferait d’abord une copie du document.
Pour cela, elle avait besoin d’un alchimiste. Strasbourg n’en manquait pas.
Les alchimistes étaient encore plus nombreux qu’ailleurs, installés pour la plupart au nord de la ville autour de l’église Saint-Pierre, dans un quartier assez sinistre qu’il valait mieux éviter la nuit.
Cela impliquait qu’une personne supplémentaire serait dans la confidence et aussi qu’il lui faudrait trouver de l’argent, car l’alchimiste ne travaillerait pas gracieusement.
À force de ressasser ces problèmes insolubles, elle s’endormit. Et elle rêva : elle se tenait en haut d’un majestueux escalier de marbre blanc, parée d’une robe magnifique et entourée de domestiques à son service. Elle tenait à la main un parchemin.
Une troupe de cavaliers en uniforme d’apparat approchait, brandissant leurs étendards et leurs bannières, revêtus d’une croix jaune. Un carrosse tiré par six chevaux arrivait à leur suite. De son trône couvert d’or, le pape adressait à la foule des saluts bienveillants. Le pape descendait de sa voiture au pied du vaste escalier et gravissait l’interminable volée de marches de marbre. Ses acolytes portaient des coffres remplis d’or et de pierres précieuses.
Mais plus ils s’évertuaient à gravir les marches, moins ils progressaient. À cet instant précis, Afra s’éveilla, le front couvert de sueur.
Quel rêve étrange, songea-t-elle épuisée en regardant la chandelle tout près d’elle par terre. La flamme vacilla brusquement comme agitée par un courant d’air venant d’une des allées au fond de la salle.
Elle eut l’impression d’entendre une porte s’ouvrir. Figée d’effroi, elle jeta un œil vers l’entrée.
Elle osait à peine respirer, sentant son sang battre contre ses tempes. Elle resta immobile quelques secondes qui lui parurent interminables.
Lorsque – tout à coup, un livre tomba. Afra sentit la peur l’envahir. Elle aurait voulu appeler, crier, aller vers l’inconnu ; mais tout son corps était paralysé, engourdi, raide.
La chandelle ! Elle devait la souffler. Avant même qu’elle en ait eu le temps, elle vit une timide lueur progresser dans l’allée centrale, puis devenir de plus en plus vive.
Soudain, elle vit glisser en silence devant elle, à une dizaine d’aunes, une silhouette sombre, un homme, le visage enfoui dans une capuche tenant un chandelier à la main. Puis la lumière s’évanouit.
Afra ne savait plus que faire, elle était désemparée. Un homme avec une capuche. Cela lui rappelait de mauvais souvenirs. Était-ce un de ces mystérieux individus qui avaient saccagé la cathédrale ? Que cherchait-il dans la bibliothèque à cette heure de la nuit ?
Afra n’osait même pas imaginer que le parchemin puisse être la cause de cette visite nocturne. Personne ne l’avait vue pénétrer dans le couvent.
De plus, l’inconnu ne pouvait savoir dans quel livre, parmi les milliers entassés là, elle avait caché le parchemin.
Elle entendait au loin l’homme à la capuche prendre sur les étagères des livres qu’il feuilletait. À en croire la lenteur de ces gestes, il n’était pas pressé. À mesure que le temps passait, la curiosité d’Afra ne faisait que croître. Qui se cachait sous ce grand manteau ? Que faisait cet homme-là ?
Elle sentit son corps se détendre progressivement et sa peur s’évanouir comme par enchantement. Elle se redressa, se leva sans bruit et avança prudemment à pas feutrés vers l’allée centrale dans la direction où elle avait vu l’homme disparaître.
À l’extrémité de la travée, Afra aperçut un halo lumineux.
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