Les Conjurés De Pierre
Melbrüge à l’abbaye ? Puisque ni lui ni Melbrüge ne pouvaient connaître l’existence du parchemin, il devait avoir une autre raison de mentir, mais laquelle ?
S’ajoutaient à cette préoccupation les difficultés inhérentes à la bibliothèque elle-même qui, malgré les pertes essuyées, demeurait une des plus grandes de l’Occident, difficultés accrues par le fait que les ouvrages théologiques, représentant ordinairement un tiers du fond d’une bibliothèque, occupaient ici les neuf dixièmes de l’espace.
Pour couronner le tout, l’auteur de l’ouvrage était anonyme. En résumé, Afra devait trouver un livre parmi soixante-dix mille autres.
Tandis qu’elle élevait sa lanterne vers les étagères poussiéreuses qui se dressaient devant elle comme autant de remparts infranchissables, et que ses espoirs s’amenuisaient de trouver l’objet convoité parmi ces montagnes de savoir accumulé, elle entrevit, par hasard, une pile de livres qui attira sa curiosité : les ouvrages formaient une sorte de tour qui lui arrivait à peu près à la taille.
En approchant, elle se rendit compte que cette construction, effectuée apparemment à la va-vite, devait servir à dissimuler quelque chose.
Elle avait l’impression de revoir ces tas de livres derrière lesquels frère Dominique se protégeait des regards indiscrets.
Après un instant d’hésitation, Afra commença à défaire l’édifice, enleva une première puis une deuxième rangée de livres, prenant mille précautions car la tour en équilibre instable menaçait constamment de verser.
Quand elle eut retiré la troisième couche de livres, elle aperçut au milieu un couvercle de tonnelet. Son visage était en feu et son dos parcouru de sueurs froides. Et en découvrant sur le couvercle les armes de la ville de Strasbourg, un bouclier flanqué d’une large rayure transversale de gauche à droite, elle était certaine d’avoir trouvé ce qu’elle cherchait.
Le parchemin ! Le mot résonnait dans sa tête. Le parchemin ! Afra l’avait enfin trouvé. Quelle ne fut pas sa déception quand, après avoir soulevé le couvercle, elle regarda au fond ! Le tonnelet était vide.
Elle sentit des larmes de désespoir et de colère sourdre dans ses yeux. Elle enfouit le visage dans ses mains comme pour tout oublier. Déçue et découragée, elle était au bord du gouffre.
Elle entendit soudain un bruit, comme si quelqu’un venait d’ouvrir la porte, puis des voix qui semblaient venir de la direction opposée à l’entrée de la bibliothèque. Elle ne s’inquiéta pas puisqu’elle savait, pour l’avoir expérimenté elle-même, que les murs des abbayes dissimulent des tuyaux qui transmettent les sons d’une pièce à l’autre. Pourtant, il lui semblait maintenant entendre des pas. Il devait y avoir une autre porte quelque part.
Afra s’empressa de remettre les livres à leur place et souffla la bougie. Puis elle se dirigea vers la porte par où elle était entrée. Elle la referma derrière elle sans un bruit à l’aide de la clavis mirabilis et tâtonna dans le noir jusqu’au porche de l’abbaye, dont elle ouvrit la porte avec la clef miraculeuse.
La nuit était humide et fraîche. En revenant vers l’hostellerie, Afra ne tremblait pas de froid mais d’émotion. Bien qu’elle n’ait pas trouvé le parchemin, elle détenait maintenant la preuve irréfutable que Gereon Melbrüge avait rempli sa mission.
En entrant dans sa chambre, elle s’aperçut que ses bagages avaient été fouillés. Elle fut terrorisée à l’idée de penser que quelqu’un ait pu découvrir ses robes. Elle essaya en vain de s’endormir, mais comment trouver le sommeil quand toutes sortes de chose vous trottent dans la tête et, surtout, quand une question vous taraude : qui avait fouillé ses bagages, et pour quelles raisons ?
Le lendemain matin, Afra alla nourrir son cheval avant de prendre un copieux petit-déjeuner.
Ayant négligé depuis quelque temps son alimentation, elle se sentait extrêmement faible.
Elle se requinqua d’une bouillie de flocons d’avoine, de lard avec des œufs brouillés, de pain, de fromage et de lait caillé. À son grand étonnement, frère Athanase, le gros frère hôtelier, ne lui demanda pas d’explication sur son retour tardif.
Pourtant il n’ignorait pas que l’abbaye fermait ses portes avant les complies et, qu’à cette heure de la nuit, il n’y avait que son hostellerie encore ouverte sur la
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