Les Conjurés De Pierre
nouveau en ouvrant la porte.
La pièce était plongée dans l’obscurité. La faible lumière provenant du laboratoire lui permit d’apercevoir sur la table une petite fiole et une feuille de papier.
Afra recula de quelques pas. Puis subitement, elle eut l’idée d’aller chercher une lampe à huile dans le laboratoire. C’est en revenant la lampe à la main qu’elle découvrit frère Jean.
— Frère Jean ! dit-elle tout bas.
Dans la pénombre, elle entrevoyait la silhouette de l’alchimiste courbé sur la table, dormant la tête posée sur ses bras croisés.
— Allons, le soleil est déjà haut dans le ciel, et vous dormez encore. Vous vous êtes rendormi ? Réveillez-vous !
Afra secoua frère Jean par les épaules. Comme il ne réagissait toujours pas, elle prit la tête du moine entre ses mains et la souleva péniblement tellement elle était lourde. C’est en découvrant les lèvres du moine, sombres presque noires, qu’elle comprit qu’il venait de se passer un drame.
Elle appuya doucement le bout de ses doigts sur la tempe droite de l’alchimiste. « Frère Jean ! » chuchota-t-elle comme pour ne pas l’éveiller alors qu’elle savait déjà qu’il était mort.
Afra avait déjà vu des morts. La mort en soi ne lui faisait pas peur. Mais celle-là était si inattendue et si inexplicable. Afra était bouleversée et émue, bien qu’elle ne sache que très peu de chose de cet homme qu’elle connaissait seulement depuis trois jours.
Elle tremblait et frissonnait.
Il ne fallait surtout pas qu’on la découvre avec l’alchimiste mort. Il fallait partir tout de suite. Afra s’élança comme une furie.
À l’instant où elle refermait la petite porte, elle repensa subitement à la feuille sur la table.
Afra revint sur ses pas pour s’emparer de la feuille vierge et de la fiole marquée Aq. Prod . Au moment où elle se dirigeait vers la sortie, elle posa le pied sur quelque chose de dur qu’elle écrasa.
Les bris de verre par terre lui rappelèrent ces capsules de poison que les apostats portaient toujours sur eux.
Malgré son trouble, Afra voulut voir une dernière fois l’alchimiste. Et c’est là qu’elle comprit à sa position et à ses yeux qui semblaient dirigés vers la fiole d’ aqua prodigii qu’il avait voulu indiquer quelque chose. Le regard vide du moine la rendait folle. Elle avait envie de hurler, mais elle était comme tétanisée. Aucun son ne sortait de sa gorge.
Elle sortit à reculons de la pièce. Frère Jean pouvait encore se réveiller et lui réclamer la feuille et la fiole. Elle se sentait oppressée, elle étouffait. Elle se précipita affolée dans l’escalier.
Une fois arrivée dans le cloître, elle s’arrêta, prenant subitement conscience que cette précipitation pouvait attirer l’attention.
Le pire eut été maintenant de croiser quelqu’un. Elle resta un instant appuyée contre une des colonnes du cloître en ruine. Se cacher, disparaître, mais où ?
Elle pensa soudain à la clef. Frère Jean lui avait affirmé qu’elle ouvrait toutes les portes de l’abbaye. Dans la panique, elle repartit donc en sens inverse vers l’escalier menant à la bibliothèque.
Mais au lieu d’aller à gauche cette fois, elle emprunta le couloir de droite sans même savoir où il la mènerait. Au moins, si elle rencontrait quelqu’un ici, il ne pourrait faire le lien entre sa présence dans l’abbaye et la mort de frère Jean.
Un peu de lumière filtrait par les fenestrons tout juste assez larges pour passer la tête. Elle distinguait dans la pénombre les portes alignées sur sa droite à intervalles réguliers.
Au-dessus de chaque chambranle, figurait une référence à la Bible : « Jérémie, 8, 1 », « 4. Psaume 104, 1 », ou encore « Matthieu 6, 31 », lesquelles n’évoquaient rien pour Afra.
Certaines portes étaient ouvertes. Il s’agissait manifestement des cellules abandonnées par les moines, toutes meublées sommairement d’un pupitre pour poser l’ é criture s ainte, d’un prie-Dieu et d’un lit couvert de poussière et de toiles d’araignée.
Afra entra dans une des cellules et s’y enferma. L’air était étouffant, à peine respirable. Elle posa sur le pupitre la feuille et la fiole.
L’inscription Aq. Prod . était l’abréviation de Aqua prodigii , la solution permettant de révéler un écrit rédigé à l’encre sympathique.
Afra avisa une vieille pèlerine suspendue à la porte. Elle la
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