Les Conjurés De Pierre
jamais échangé une parole avec Jan Hus, son discours sur le marché avait suffi à lui inspirer confiance.
Dès que le savant se fut éloigné, Afra se rendit chez le changeur Pileus dans la Brückengasse pour récupérer le parchemin. Elle le glissa comme à l’accoutumée dans son corsage. Avant de quitter l’échoppe, elle jeta un œil à droite et à gauche pour s’assurer que la voie était libre. Puis, elle repartit vers la rue du marché aux poissons. À mi-chemin, il se mit à pleuvoir.
Un vent glacial poussait de gros nuages noirs sur la ville. Afra s’abrita sous l’auvent d’une maison où plusieurs personnes s’étaient déjà réfugiées.
De grosses gouttes d’eau tombaient sur le petit toit d’ardoise. Afra frissonnait de froid.
Elle devait avoir l’air bien misérable pour que quelqu’un dépose une cape sur ses épaules.
— Vous tremblez comme une feuille, entendit-elle derrière elle. La voix était aimable. Elle se retourna.
— Rien d’étonnant par ce froid ! Elle resta interdite. Ne seriez-vous pas le cracheur de feu qui a plus d’un tour dans son sac ?
— Et vous, ne seriez-vous pas la jeune femme qui s’est enfuie au moment le plus spectaculaire de mon numéro ?
— Vous m’avez donc vue ?
— Sachez que les artistes sont des gens extrêmement attentifs. Il n’y a pas pire humiliation pour un saltimbanque que de voir le public s’éloigner avant qu’il ait fini.
— Excusez-moi, je ne voulais pas vous blesser !
Le cracheur de feu haussa les épaules.
— Ce n’est pas grave.
— Comment puis-je me faire pardonner ? demanda Afra en souriant.
— Proposez quelque chose !
Le jeune homme s’approcha d’elle, saisit les deux lacets du col de la cape et la tira vers lui.
Afra le trouvait tellement beau et tellement jeune. Elle se sentit soudain envahie par une vague de chaleur qu’elle avait déjà éprouvée lors de leur première rencontre.
— Je ne sais pas, répondit-elle avec la timidité d’une jeune fille.
Quelle étrange réaction de ma part, se dit-elle, moi qui n’ai jamais éprouvé de timidité, de pudeur ou de crainte depuis que je suis toute petite. Et voilà qu’après tout ce qu’elle avait vécu, un homme l’intimidait et, qui plus est, un jeune homme. Elle tremblait sans savoir ce qui, du froid ou de la présence du jeune homme, en était la cause. Le cracheur de feu se serra naturellement contre elle pour la réchauffer. Elle se sentait bien contre lui.
— On m’appelle Jakob l’ardent, dit le jeune homme en clignant des yeux.
— Moi, c’est Afra, répliqua-t-elle en ne songeant même pas à cacher sa véritable identité au jeune homme.
— Vous semblez vraiment ne pas avoir peur du feu ! dit-elle en insistant sur le mot « semblez », comme s’il ne faisait que donner le change.
Jakob l’ardent fit comme s’il n’avait pas remarqué le sous-entendu :
— Non, le feu ne m’inspire pas plus de crainte que l’air, l’eau et la terre. Il faut juste savoir manier intelligemment les éléments. Prenez l’eau, elle peut être dangereuse, on peut s’y noyer. Mais elle est nécessaire à la vie. Il en va de même pour le feu. Beaucoup y voient un danger. Mais il est aussi utile à la vie que l’eau. Particulièrement par un temps comme celui-ci. Venez !
La pluie avait cessé. Jakob entraîna Afra vers la place du Doyen.
— J’ai laissé ma roulotte là-bas. À l’intérieur, j’ai un bon petit poêle, vous pourrez vous réchauffer.
Afra s’étonna de la simplicité avec laquelle le jeune homme agissait et de la spontanéité avec laquelle elle le suivit.
Le palais du Doyen se composait de plusieurs bâtiments enchevêtrés les uns dans les autres. Les saltimbanques avaient installé leurs roulottes dans un coin en face de l’église Saint-Jean, depuis que les autorités les avaient chassés la veille de leur emplacement habituel. Ils étaient habitués à ce qu’on les traite de la sorte et ne s’en souciaient guère. Les autorités se méfiaient d’eux et ne songeaient qu’à les écarter, mais le peuple les aimait car ils le distrayaient de sa morosité quotidienne.
— Voilà, c’est ici que je vis, aussi libre que l’oiseau, fit Jakob en l’invitant à entrer.
Devant les murs aveugles d’un bâtiment stationnaient trois roulottes peintes avec des couleurs vives et une carriole transportant une cage dans laquelle un ours trépignait sur place. Ces charrettes à bras
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