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Les Conjurés De Pierre

Les Conjurés De Pierre

Titel: Les Conjurés De Pierre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philipp Vandenberg
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semblait si évident, mais, là-haut, ils étaient terrorisés et devaient maîtriser leur peur. Ils gagnaient bien leur vie. Puis un jour, il arriva ce qui devait arriver. Un des nœuds fixant la corde entre les tours de la cathédrale d’Ulm lâcha, et mon père et ma mère tombèrent dans le vide.
    — Quelle horreur !
    Afra vit ses yeux embués de larmes. Elle était nue, elle s’assit à califourchon sur ses genoux et embrassa son front. Jakob se serra tendrement comme un enfant contre la poitrine de sa mère.
    — Du jour au lendemain, tu as été obligé de subvenir à tes propres besoins…
    — Oui. Mon père m’avait interdit depuis ma plus tendre enfance de marcher sur le fil. Il m’avait appris à manier le feu. Il disait toujours qu’on peut éviter de se brûler, mais que sur le fil, la moindre erreur est fatale. Il avait raison.
    Afra passa tendrement sa main dans ses cheveux sombres. Elle était profondément émue par sa tristesse. Elle hésitait néanmoins à céder au désir qu’elle sentait monter en elle.
    Et au lieu de lui chuchoter des mots doux à l’oreille, au lieu de le caresser et de l’apprivoiser, elle lui dit, embarrassée :
    — Tu aimais énormément tes parents.
    Que venait-elle de dire ? Elle se sentit immédiatement ridicule. En tant qu’aînée et que femme plus expérimentée, le jeune homme attendait certainement qu’elle fasse le premier pas, qu’elle le guide et qu’elle l’initie – si nécessaire – à l’amour. Mais ce qui ne devait pas arriver, n’arriva pas.
    Le destin en décida autrement.
    — Oui, je les aimais beaucoup mais ce n’étaient pas mes véritables parents.
    — Pas tes véritables parents ? Que veux-tu dire ?
    — Je suis ce qu’on appelle un enfant abandonné, trouvé dans la forêt au milieu des champignons, des agarics, disait mon père. Du reste, mes parents ne m’appelaient jamais par mon nom de baptême, Jakob. Pour eux, j’ai toujours été Agaric.
    « Agaric », réprit-elle sans voix. Soudain, l’odeur du champignon lui chatouilla les narines. Il lui avait fallu des années pour chasser de sa mémoire cette senteur particulière qui revenait parfois et réveillait tant de mauvais souvenirs.
    Alors elle fuyait dans les champs pour respirer le parfum des fleurs ou le crottin de cheval. Et l’odeur de l’agaric se dissipait entraînant avec elle tous les souvenirs pénibles qu’elle avait momentanément ravivés. à la longue, elle avait vraiment fini par l’oublier.
    L’odeur de champignon venait de rouvrir la plaie qu’elle croyait fermée : la mousse était humide sous ses pieds nus, elle se cramponnait au tronc du sapin, elle ressentait les douleurs fulgurantes de l’enfantement.
    Elle revit le petit paquet de chair vivante par terre. Elle retint le cri qui l’étouffait. Son passé était-il encore une fois en train de la rattraper ? Et cette fois, plus cruellement encore ?
    — Cela ne doit pas t’attrister, lui susurra Agaric qui avait remarqué son chagrin. J’ai toujours été heureux. Qui sait quelle vie j’aurais mené avec mes véritables parents !
    Le jeune homme la regarda, puis lui caressa tendrement les seins.
    L’instant d’avant, elle était prête à fondre dans ses bras et maintenant, elle frissonnait, bouleversée par le récit d’Agaric.
    Qu’il ose à présent la toucher, et elle le giflerait et le repousserait. Ce ne furent que des vœux pieux.
    Profondément troublée, confuse et paralysée, elle s’abandonna passivement aux caresses du garçon.
    Soudain, elle saisit sa main gauche, la retint fermement et compta ses doigts, cinq au total. Ses horribles pressentiments s’envolèrent en un clin d’œil.
    Elle était soulagée, près de rire quand Agaric lui dit :
    — Ne t’inquiète pas pour cette cicatrice, ce n’est rien. À la naissance, j’avais six doigts à la main gauche. Un jour, j’en ai eu assez qu’on se moque de moi à cause de cette malformation, outre le fait qu’on dit que cela porte malheur, alors j’ai fini par aller chez un rebouteux qui me l’a tranché avec une hache. J’ai perdu tellement de sang que j’ai failli mourir. Enfin, comme tu le vois, je suis encore là. Depuis lors, je porte mon sixième doigt toujours sur moi comme un talisman. Veux-tu que je te le montre ?
    Afra se cabra comme si elle venait de recevoir un coup de poignard dans le dos. Son visage était aussi blême que la cire d’un cierge pascal. Elle attrapa

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