Les Conjurés De Pierre
lui dit à la hâte :
— Vous êtes sûrement l’épouse de l’ambassadeur du roi de Naples. Je suis Johann von Reinstein, un ami de Jan Hus de Bohème, mon maître, à qui je suis entièrement dévoué.
Avant même qu’Afra ait pu le détromper, il poursuivit sur sa lancée :
— Maître Hus m’envoie pour prendre un rendez-vous avec messire Pietro de Tortosa. Il a besoin du soutien de l’ambassadeur face au pape de Rome. Vous êtes bien son épouse ?
— Par la sainte Vierge Marie ! Absolument pas ! Mais vous ne me laissez même pas le temps de parler ! répliqua Afra après un bref instant durant lequel l’étranger reprit sa respiration.
— Mais vous habitez bien dans la Maison Haute de maître Pfefferhart où loge l’ambassadeur du roi de Naples ?
— C’est exact, mais je n’ai rien à voir avec Pietro de Tortosa. Le hasard a voulu que nous fassions route ensemble. Je m’appelle Gysela Kuchler et je ne suis que de passage dans cette ville.
En apprenant cela, le savant de Bohème resta perplexe. Il dévisagea discrètement Afra.
Tout avait été dit. Il ne servait plus à rien de prolonger la conversation. Mais tout d’un coup, une pensée traversa l’esprit d’Afra, une pensée qui allait changer le cours de l’histoire.
— Vous êtes un ami de maître Hus ? demanda-t-elle avec prudence.
— Il me considère comme tel en effet.
Afra se mordillait les lèvres en réfléchissant.
— Je l’ai entendu parler. Et ce qu’il a dit m’a profondément touchée. Hus ne craint personne. Il faut du courage pour s’en prendre ainsi au pape et au clergé de l’église d’Occident. D’autres sont taxés d’hérésie et condamnés pour des motifs plus anodins.
— Mais Hus a raison ! La s ainte m ère l’ é glise est tombée dans la déchéance la plus complète. Hus a décrété à plusieurs reprises qu’il accepterait toute sanction si son hérésie était prouvée. Mais personne n’a réussi à le faire jusqu’à présent. Vous n’avez aucune raison de vous inquiéter, belle dame. Mais je sens quelque chose peser sur votre cœur.
— Il me semble que Jan Hus pourrait m’aider. C’est un homme intelligent qui connaît les lois de l’ é glise or je possède un document que convoitent le pape et l’ é glise. à plusieurs reprises, on a tenté de me le dérober. Je n’ai toujours pas compris véritablement pourquoi. Mais dès que je cite deux mots figurant dans cet écrit, les gens réagissent toujours de la même façon, ils sont terrifiés.
— Quels sont ces mots ?
— CONSTITUTUM CONSTANTINI.
Johann von Reinstein, qui n’avait écouté que d’une oreille les propos d’Afra, se montra subitement vivement intéressé :
— Vous avez bien dit CONSTITUTUM CONSTANTINI ?
— Oui, c’est bien ce que j’ai dit.
— Pardonnez-moi mon indiscrétion, mais… – Reinstein précipitait les mots –,… mais comment êtes-vous entrée en possession de ce document ? L’avez-vous ici ? Seriez-vous prête à me le montrer ?
— Cela fait beaucoup, trois questions en même temps, dit Afra en riant. Mon père m’a légué ce document en m’avertissant qu’il avait une valeur inestimable. Ce ne serait pas prudent de le garder avec moi. Il se trouve en lieu sûr, ici, à Constance. Quant à la troisième question : je serais très honorée de le montrer à maître Hus. Mais, puis-je vous faire confiance ?
Le savant de Bohème leva les mains et lui dit pour la rassurer :
— Par saint Wenceslas, je préférerais avoir la langue tranchée plutôt que de parler ! Si cela vous convient, venez rendre visite à maître Hus demain matin après l’angélus. Nous habitons chez la veuve Fida Pfister dans la Paulsgasse.
— Je sais, répliqua Afra, toute la ville en parle. On dit aussi que ses partisans assiègent la maison et se refusent à partir tant que maître Hus ne s’est pas montré aux fenêtres.
Reinstein leva les yeux au ciel comme s’il réprouvait l’attitude du peuple. Puis il reprit la parole :
— La rapidité avec laquelle s’est répandue sa doctrine en Allemagne est vraiment surprenante. Il vaudrait mieux que vous ne passiez pas par la porte de devant mais par celle de derrière dans la Gewürzgasse. Ce serait plus discret. Quant à l’ambassadeur de Naples, pouvez-vous lui demander s’il peut recevoir maître Hus ?
Afra lui en fit la promesse. Elle avait déjà l’esprit ailleurs. Bien qu’elle n’eût
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