Les Conjurés De Pierre
se furent installés autour de la petite table, dans le renfoncement près de la fenêtre, je ne m’intéresse pas au document mais uniquement à ce qu’il dit. Reinstein m’a averti qu’il se trouvait en lieu sûr dans cette ville, à un endroit que vous gardez secret.
Afra regardait fascinée le savant de Bohème sans savoir quel comportement adopter. S’il y avait bien une personne capable d’élucider le mystère du parchemin sans vouloir en tirer personnellement profit, c’était maître Hus.
Ce ne fut cependant pas de gaieté de cœur qu’elle alla chercher le parchemin dissimulé sous son matelas. Elle l’étala sur la table devant les deux hommes.
— Comme vous le voyez, maître Hus, il n’était pas caché très loin, dit-elle en prenant un air détaché.
Les deux hommes se regardèrent sans dire un mot. On eût dit que leur manque de discrétion leur causait quelques remords.
Ils ne s’attendaient vraiment pas à ce que cette femme mette aussi simplement le document à leur disposition.
— Et vous n’avez vraiment pas la moindre idée de la teneur de ce CONSTITUTUM CONSTANTINI ? demanda Hus, incrédule.
— Absolument aucune, rétorqua Afra. Voyez-vous, je suis une femme simple. Je dois ma modeste instruction à mon père qui était bibliothécaire. C’est lui qui m’a légué ce parchemin.
— Votre père connaissait-il le contenu exact du document ?
Afra retroussa la lèvre inférieure, moue dont elle était coutumière lorsqu’elle ne savait que répondre.
— Parfois je serais tentée de croire qu’il le connaissait, parfois j’en doute. Mais il m’avait averti qu’il avait une valeur inestimable et que je ne devais m’en servir qu’en cas d’extrême détresse. D’un autre côté, s’il avait vraiment eu connaissance de sa grande valeur, c’eut été folie de sa part que de ne pas s’en servir alors qu’il avait du mal à nourrir sa femme et ses cinq filles. Mais pourquoi tenez-vous donc tant à savoir ce que dit ce parchemin ?
Hus et Reinstein échangèrent des regards complices mais s’abstinrent de répondre. Puis Hus, semblant subitement s’affranchir de tous scrupules, saisit le parchemin et le déplia précautionneusement.
Il resta perplexe, le retourna, le fit passer devant la bougie pour le voir en transparence et lança un regard interrogateur à Afra.
— Mais, il n’y a rien sur ce parchemin ! maugréa-t-il, dépité.
Reinstein lui prit le parchemin des mains voulant vérifier de lui-même.
— Oui, mais ce n’est qu’une apparence trompeuse, répondit Afra en se levant avec un sourire radieux pour aller chercher dans ses bagages la fiole miraculeuse. Elle en déposa quelques gouttes sur le parchemin, puis étala la solution à l’aide d’un morceau d’étoffe. Les deux hommes, dubitatifs, la regardaient en silence.
Lorsque les premières bribes de mots s’esquissèrent sur le document, Hus et Reinstein se levèrent de leurs chaises et se penchèrent au-dessus du parchemin pour assister au miracle de la révélation.
— Par saint Wenceslas ! murmura tout bas Johann von Reinstein craignant de troubler le processus qui se déroulait sous leurs yeux. As-tu déjà vu une chose pareille ?
Hus secoua la tête de stupéfaction. Et se tournant vers Afra s’exclama :
— Par tous les saints, vous êtes alchimiste !
Afra partit d’un rire presque moqueur alors que l’occasion ne s’y prêtait vraiment pas :
— La lettre est rédigée à l’encre sympathique qu’on ne peut révéler qu’à l’aide d’une solution spéciale appelée Aqua prodigii . C’est un alchimiste de l’abbaye du Mont-Cassin qui me l’a donnée. Vous devez faire vite pour lire le texte. Car à peine aura-t-il apparu qu’il s’effacera à nouveau.
D’un doigt tremblant, Hus parcourut chaque ligne du message écrit en latin.
Ses lèvres s’agitaient tout bas. Il traduisit quelques phrases : Nous Johannes Andreas Xenophilos – sous le pontificat de Hadrien II – le poison qui m’étouffe – Mission de rédiger un parchemin – écrit de ma propre main…
Hus écarta le parchemin et, le visage impénétrable, regarda fixement la bougie. Reinstein, qui avait lu par-dessus l’épaule d’Hus, s’effondra sur sa chaise, cachant son visage dans les mains.
Afra était sur des charbons ardents. L’œil fébrile, elle observait le visage blême d’Hus. Elle n’osait pas lui poser la question qui lui brûlait les lèvres. Ce fut Hus
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