Les Conjurés De Pierre
chansonnette devant sa porte. Elle n’avait toutefois aucune envie d’écouter ou de voir cet homme et sa compagne.
À l’instant où elle passait rapidement devant lui, le chanteur s’interrompit et l’interpella :
— Vous êtes certainement Afra. J’ai un message pour vous.
Afra avait l’esprit totalement accaparé par sa rencontre avec Agaric. Elle se sentait veule et méprisable, assez peu disposée à écouter cet inconnu. Elle revint subitement à la réalité quand elle entendit son prénom : comment cet individu pouvait-il le connaître ?
À quelle occasion l’avait-elle déjà rencontré ? Elle avait beau fouiller ses souvenirs et dévisager l’étranger, elle ne le remettait absolument pas. Et l’homme de son côté, encouragé par le silence d’Afra, qu’il interpréta comme une réponse affirmative à sa question, poursuivit :
— Un certain Ulrich von Ensingen m’envoit, un homme de qualité et généreux de surcroît, ce qui est rare dans ces milieux. Je m’appelle Wenceslas von Wenzelstein au cas où vous ne le sauriez pas encore.
Le borgne fit une sorte de révérence frisant la caricature par son caractère outrancier, que venaient renforcer la physionomie de son auteur et les quelques sons insolites qu’il poussa lors de cette démonstration ostentatoire de respect. On eût dit qu’il venait de marcher sur la queue d’un chat.
— Je ne connais pas maître Ulrich, répondit Afra désappointée. Elle se sentait acculée dans ses retranchements par cet individu louche, et flairait, comme si souvent et si justement parfois, le piège.
— Il m’a chargé de vous prier de lui pardonner son attitude, poursuivit Wenceslas plus chantant que parlant. Maître Ulrich est sous haute surveillance. Pour être plus juste, il est entouré d’espions, comme il ne cesse de le dire lui-même. Je dois aussi vous donner ceci.
Wenzel sortit de sa poche une feuille pliée qu’il tendit à Afra dans l’obscurité de l’entrée.
— Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, maître Ulrich souhaiterait vous rencontrer. Vous trouverez le lieu et l’heure indiqués sur cette feuille. Et maintenant, Wenceslas von Wenzelstein vous salue.
Le mystérieux messager disparut avec sa compagne dans la nuit.
Afra regagna sa chambre à bout de forces. Elle déplia nerveusement le papier et parcourut des yeux la jolie écriture. Ses mains tremblaient.
Il régnait dans la maison une vive agitation. L’ambassadeur extraordinaire du roi de Naples sermonnait son secrétaire pour avoir commis une négligence dont elle ne comprit pas vraiment les raisons tandis que, d’un autre côté, son cocher et son éclaireur prenaient du bon temps en compagnie de belles étrangères à la voix particulièrement sonore.
Dans la vie d’un être, il arrive que les événements se précipitent indépendamment de sa volonté. Ce fut exactement le cas pour Afra ce jour-là. Elle venait de s’allonger. Elle était inquiète. Toutes sortes d’idées lui passaient par la tête lorsque maître Pfefferhart vint frapper à sa porte en chuchotant :
— Veuve Kuchler, deux éminents magistères viennent de se présenter à la porte de la maison, ils refusent de dévoiler leurs identités. Vous devez les connaître. Dois-je les laisser entrer ?
— Un instant ! Afra se leva et ouvrit la fenêtre donnant sur la rue. Elle aperçut devant la porte les deux hommes bien habillés, l’un coiffé d’une barrette dissimulant son visage, et l’autre tenant une lanterne. Elle le reconnut aussitôt. C’était Johann von Reinstein.
— Faites-les entrer ! dit Afra à travers la porte.
Pfefferhart s’éloigna et Afra passa une robe. L’instant d’après, on frappait à la porte.
— J’espère que vous n’étiez pas encore couchée, chuchota en guise d’excuse Johann von Reinstein à voix basse, mais depuis que j’ai parlé à mon ami, maître Hus, de votre CONSTITUTUM CONSTANTINI, il est en proie à la plus vive inquiétude.
L’homme qui l’accompagnait dévisageait calmement Afra sans dire un mot. Afra comprit immédiatement que l’inconnu était maître Jan Hus.
— Vous ? dit Afra embarrassée.
Hus ôta sa capuche et leva l’index à la bouche pour lui faire un signe de silence.
— Il vaut mieux pour chacun d’entre nous que cette rencontre reste secrète.
Afra invita les deux hommes à entrer. Sa fatigue s’envola subitement.
— Comprenez-moi bien, dit le barbu une fois qu’ils
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