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Les Conjurés De Pierre

Les Conjurés De Pierre

Titel: Les Conjurés De Pierre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philipp Vandenberg
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les tempêtes qui, en automne, déracinent si facilement un chêne. Maître Ulrich devait être un véritable sorcier.
    Afra ne l’avait encore jamais rencontré. Il évitait de manger avec les ouvriers à la cantine.
    Certains charpentiers allaient jusqu’à nier son existence ou le prenaient pour un fantôme car, s’ils avaient entendu parler de lui, ils ne l’avaient encore jamais vu de leurs propres yeux.
    La lueur qu’on pouvait apercevoir le soir tard dans la baraque au-dessus du portail occidental ne suffisait pas à les détromper.
    Lors d’une de ces rares et tièdes soirées estivales qui vous rendent entreprenant, Afra se décida à aller voir l’architecte. Elle prit une bouteille de bière qu’elle glissa dans la ceinture de son tablier et se dirigea vers le portail occidental. Elle avait souvent admiré l’agilité des maçons et des charpentiers grimpant les échelles de l’échafaudage jusqu’au dernier palier.
    Quand elle eut atteint le cinquième niveau, elle fit une pause pour reprendre son souffle et gravit les trois derniers étages en haletant.
    Elle était tellement essoufflée qu’elle avait l’impression que ses poumons allaient exploser.
    Tout en haut, au-dessus des toits de la ville, il faisait singulièrement clair alors qu’en bas les maisons et les rues étaient déjà noyées dans les ténèbres.
    Çà et là brillaient une torche ou une lanterne. Le fleuve, au-delà des remparts, scintillait dans la nuit éclairée par un pâle rayon de lune.
    Elle regarda sur la droite et aperçut au loin la petite maison de Bernward dans le quartier des pêcheurs.
    La baraque de l’architecte était éclairée. Elle était moins petite et moins exposée aux vents qu’elle ne le paraissait vue du parvis.
    Afra lissa ses cheveux qui s’étaient emmêlés en montant, puis elle dénoua le nœud de son tablier et sortit la bouteille de bière. Après l’effort qu’elle venait de fournir pour monter, son cœur battait vite.
    S’ajoutait à cela une certaine appréhension due à son manque d’assurance. Comment faire pour aborder le mystérieux Ulrich von Ensingen ? Elle prit son courage à deux mains et ouvrit la porte.
    La porte grinça comme un chat qui miaule, mais le bruit ne sembla pas déranger maître Ulrich qui se tenait assis face à elle, penché sur un dessin.
    Il tirait des traits à la règle avec une craie, tout en marmonnant à intervalles réguliers des chiffres : « soixante, cent vingt, cent quatre-vingt ».
    Maître Ulrich était un homme assez grand avec une chevelure brune abondante qui lui tombait sur les épaules. Il portait un pourpoint en cuir et une large ceinture. Il ne leva même pas les yeux quand Afra déposa la bouteille sur la table.
    Et comme elle n’osait pas l’interrompre, elle resta quelques minutes en face de lui sans rien dire.
    — Soixante, cent vingt, cent quatre-vingt, répéta-t-il. Et sans même reprendre une respiration, ajouta sur le même ton : que fais-tu là ?
    — Je vous ai apporté quelque chose à boire, de la bière de la cantine. Je suis Afra, la serveuse.
    — Avais-je demandé quelque chose ? 
    Maître Ulrich ne lui avait toujours pas accordé le moindre regard.
    — Non, répliqua-t-elle, mais je me suis dit qu’un peu de bière vous donnerait de l’ardeur au travail.
    Il y eut à nouveau un interminable silence, qui fit regretter à Afra d’avoir agi de manière aussi impulsive.
    Si Ulrich von Ensingen était un brillant architecte, il n’en était pas pour autant un brillant causeur. Il leva enfin les yeux.
    Afra eut peur. Il y avait dans son regard quelque chose de si pénétrant et de si captivant qu’on ne pouvait s’en détacher.
    D’un coup d’œil vif et d’un rapide hochement de tête, il lui montra sans dire un mot deux grandes chopes en bois sur le rebord de la fenêtre.
    — Je vois que vous avez ce qu’il vous faut, s’excusa Afra.
    Et pendant qu’Ulrich retournait à ses plans, elle promena son regard sur les murs couverts de dessins représentant des détails d’ogives, des clefs de voûte, des chapiteaux, des bases de piliers, des fenêtres et des rosaces. En face de la fenêtre, il y avait un coffre débordant de plans et, à gauche de la porte, une armoire avec des vêtements suspendus.
    C’était donc ici que les plans du gigantesque édifice voyaient le jour.
    L’admiration d’Afra ne cessait de croître. Elle cherchait le regard d’Ulrich von Ensingen qui restait rivé sur

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