Les Conjurés De Pierre
remonter.
De la lumière brillait encore là-haut. Il était minuit passé, les barreaux de l’échelle étaient humides et glissants. À chaque palier, Afra faisait une pause et essuyait ses mains sur son tablier. Elle finit par arriver sur la dernière plate-forme.
— Maître Ulrich ! appela-t-elle timidement avant même de chercher à ouvrir la porte restée d’ailleurs entrouverte. Elle la poussa prudemment et là, elle découvrit un spectacle désolant. Des dessins, des plans et des esquisses déchirés en morceaux jonchaient le sol. Sur la table à dessin, une lanterne brûlait encore. Une autre bougie était placée sous la table. Un endroit insolite pour placer une bougie !
En approchant, Afra découvrit une ficelle enduite de cire enroulée autour de la bougie à deux centimètres du sol. La ficelle courait ensuite jusqu’à l’armoire près de la porte semblant faire office de mèche. Afra, comprenant à la seconde même le dispositif criminel mis en place, se précipita vers l’armoire et ouvrit la porte.
Ulrich von Ensingen gisait immobile, recroquevillé, pieds et mains liés par une grosse corde, la tête inclinée sur le côté.
— Maître Ulrich ! s’écria Afra épouvantée. Désemparée, elle saisit les jambes de l’architecte pour le tirer de là. Mais elle glissa et tomba à la renverse. À cet instant précis, la bougie sous la table bascula mettant le feu à la ficelle. Une flammèche progressait lentement le long de la mèche en direction de l’armoire.
Avant qu’Afra ait pu éteindre la flamme, quelques plans épars sur le sol avaient déjà pris feu. Afra eut une hésitation : devait-elle éteindre le feu ou sortir d’abord maître Ulrich de la baraque ? Pensant qu’elle n’aurait pas la force de soulever cet homme corpulent, elle préféra commencer par éteindre feu. Alors, saisissant des documents au hasard, elle étouffa les flammes à grands coups de parchemin jusqu’à ce qu’il soit réduit en cendres. Une fumée épaisse et asphyxiante noyait maintenant l’intérieur de la baraque.
Toussant et crachant ses poumons, Afra parvint à extirper de sa prison maître Ulrich. L’architecte semblait montrer des signes de vie. Sa tête bascula sur le côté. Ce n’est qu’à cet instant qu’Afra remarqua sa bouche bâillonnée avec un morceau de cuir ou de tissu. Après lui avoir ôté, non sans mal, l’horrible bâillon, elle prit son visage entre ses mains et le secoua.
Ulrich von Ensingen finit enfin par entrouvrir les yeux. Il regarda, incrédule, le désordre autour de lui comme s’il venait de faire un cauchemar. Non seulement il semblait ne rien comprendre mais, de surcroît, il était profondément troublé par le regard d’Afra.
Il fronça les sourcils et dit d’une voix faible :
— Ne serais-tu pas… ?
— Afra, la serveuse de la cantine.
L’architecte secoua la tête comme s’il voulait dire : « C’est à n’y rien comprendre. » Mais au lieu de cela, il dit sur un ton légèrement réprobateur en lui tendant ses poignets :
— Ne pourrais-tu pas enfin me délivrer de ces entraves ?
Afra réussit de ses doigts fins et de ses dents à desserrer les liens. Tandis qu’Ulrich von Ensingen massait les stries rouges que les cordes avaient imprimées dans sa chair, Afra lui posa une question :
— m aître Ulrich, que s’est-il passé ? On a voulu vous assassiner. Regardez. Une fois la bougie complètement consumée, elle aurait mis le feu à la mèche et alors toute la baraque aurait flambé. Une heure plus tard, vous étiez mort.
— Si je comprends bien, damoiselle Afra, tu m’as sauvé la vie !
Afra haussa les épaules.
— Je n’ai fait qu’agir par amour du prochain, répondit-elle avec une pointe de malice dans la voix.
— Tu ne le regretteras pas. Ta robe est tout abîmée. Je t’en ferai porter une nouvelle.
— Dieu vous en garde !
— Non, non, sans toi, à l’heure qu’il est, je serais probablement mort et je n’aurais jamais achevé ma cathédrale, en tout cas sûrement pas telle que je l’avais imaginée.
Afra regarda l’architecte droit dans les yeux mais ne put soutenir son regard. Elle détourna la tête gênée :
— Maître Ulrich, vous êtes un homme bien étrange, à peine venez-vous d’échapper in extremis à la mort que vous n’avez déjà qu’une seule idée en tête, poursuivre la construction de cette maudite cathédrale. Cela ne vous préoccupe donc guère
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