Les conquérants de l'île verte
enchaînèrent les deux
hommes qu’on avait envoyés au secours du premier. Mais ils ne purent découvrir
celui-ci, tant il avait déjà pris l’apparence de tous les autres. Quand on
demanda aux deux rescapés ce qu’ils avaient vu, ils répondirent qu’ils ne s’en
souvenaient plus. Et, très chagrinés par la perte du deuxième frère de lait de
Bran, les navigateurs quittèrent rapidement les abords de l’île des
lamentations.
Ils ne tardèrent pas à découvrir une autre île d’assez
modestes dimensions, et où s’élevait une forteresse, à la porte apparemment en
bronze, à laquelle on ne pouvait accéder que par un pont de verre. Bran et ses
compagnons abordèrent et se dirigèrent vers la forteresse, bien décidés à
parler à ceux qui devaient y habiter. Mais, dès qu’ils s’engagèrent sur le pont
de verre, ils tombèrent tous à la renverse, étant incapables de tenir debout
sur cette surface très glissante [117] .
Ils se trouvaient dans cette position fort embarrassante
quand ils virent une femme sortir de la forteresse, un seau à la main.
Lorsqu’elle fut arrivée à la partie la plus basse du pont, elle souleva une
plaque de verre et remplit son seau à une fontaine qui jaillissait d’en dessous
du pont. Puis, sans même paraître s’apercevoir de la présence de Bran et de ses
compagnons, elle rebroussa chemin et rentra dans la forteresse. « Que
quelqu’un vienne parler à Bran, fils de Fébal ! » s’écria d’une voix
très forte Diuran le Poète. La femme qui venait de rentrer, rouvrit la porte et
regarda au-dehors. « Bran, fils de Fébal, vraiment ? » dit-elle
d’un ton ironique avant de disparaître une nouvelle fois à l’intérieur.
En rampant, Bran et ses compagnons parvinrent jusqu’à la porte
de bronze. Avec leurs épées et leurs boucliers, ils la heurtèrent longtemps
dans l’espoir qu’on viendrait leur ouvrir. Mais le bruit qu’ils faisaient sur
le bronze se transforma en une douce musique qui les endormit jusqu’au matin.
À leur réveil, ils virent la même femme sortir de la
forteresse, son seau à la main. Elle fit la même chose que la veille au
soir : elle remplit le seau à la fontaine qui jaillissait de sous le pont.
Nechtân ne put y tenir : « Que quelqu’un vienne parler à Bran, fils
de Fébal ! » cria-t-il.
La femme parut d’abord ne rien entendre mais, au moment où
elle refermait la porte, elle se retourna et dit simplement : « Bran,
fils de Fébal, me semble très beau. »
Et elle disparut à l’intérieur. Alors Bran et ses compagnons
recommencèrent à frapper la porte de bronze avec leurs armes. Mais la musique
qu’ils provoquaient, ce faisant, les terrassa jusqu’au matin suivant.
Trois jours et trois nuits, ils furent ainsi, sans
nourriture ni breuvage. Au matin du quatrième jour, la femme alla vers eux.
D’une grande beauté, elle portait un manteau blanc, un collier d’or autour de
son col, un diadème d’argent sur sa chevelure noire. Elle était chaussée de
sandales d’argent blanc qui faisaient ressortir le rose de ses pieds et, sur
son manteau, était épinglée une broche d’argent cloutée d’or. Et son manteau,
légèrement ouvert par la brise du matin, laissait voir une chemise de soie très
fine sur sa peau blanche. « Bienvenue à toi, Bran, fils de Fébal »,
dit-elle.
Ensuite, elle dit le nom de chacun des compagnons de Bran.
« Voilà longtemps, reprit-elle, que nous savions que tu viendrais. Mais,
n’en sois pas offensé, noble Bran, tu ne pourras entrer dans cette
forteresse. »
Elle les conduisit dans une grande maison qui se trouvait
sur le rivage, tout près de la mer, et elle tira elle-même leur bateau sur le
sable. En pénétrant dans la maison, ils virent une couche destinée à Bran et
une couche pour trois de ses gens. Là-dessus, la femme les quitta pour
retourner à la forteresse.
« Eh bien, dit Diuran à Bran, n’est-ce pas celle que tu
as vue dans ta demeure et que nous recherchons depuis si longtemps ? – Ce
n’est pas elle, dit Bran, et cette île n’est pas celle où nous devons aller. Il
n’y a pas de pommiers ici, et rien ne ressemble à la description que m’a faite
la femme avant de me reprendre la branche du pommier d’Émain. – C’est dommage,
dit Nechtân, car cette femme est bien belle, et elle ferait une épouse très
convenable pour toi. »
Sur ce, celle-ci revint. Elle leur apportait un panier qui
contenait une nourriture qui
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