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Les conquérants de l'île verte

Les conquérants de l'île verte

Titel: Les conquérants de l'île verte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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ressemblait à du fromage ou à du lait caillé. Elle
distribua la nourriture à chacun d’eux, et chacun y trouvait le goût et la
saveur qu’il désirait. Ensuite, elle alla remplir son seau sous la même dalle
du pont de verre et en donna le contenu à Bran. Puis, elle alla remplir le seau
pour les autres et, quand elle les vit tous rassasiés, elle les quitta pour
regagner la forteresse.
    « Vraiment, dit Nechtân à Bran, cette femme serait une
épouse digne de toi. – Ce n’est pas elle qui est venue m’apporter la branche d’Émain »,
répondit Bran.
    Les compagnons de Bran conversèrent entre eux hors de la
présence de leur chef. Leurs errances commençaient à les lasser et, faute de
savoir comment retourner en Irlande, ils auraient bien voulu demeurer quelque
temps dans cette île où l’on prenait si grand soin d’eux.
    « Et si nous demandions à cette femme d’accepter de
coucher avec Bran ? leur dit alors Nechtân. – Oui, répondit Diuran, mais
comment le faire sans l’offenser ? »
    La femme revint le matin suivant, apportant de la nourriture
dans son panier et de la boisson dans son seau. Diuran lui dit :
« Prouveras-tu ton affection pour Bran en couchant avec lui ?
Pourquoi ne pas rester ici ce soir ? – Est-ce une question à poser à cette
femme ? s’écria Bran, plein de colère. Je n’aurais garde, moi, de la
poser ! La vraie question est celle-ci, ô femme : dans quelle
direction devons-nous aller pour atteindre Émain Ablach, la Terre des Fées où
m’attend celle qui est venue m’apporter une branche de pommier ? »
    La femme se mit à sourire : « Demain, dit-elle, tu
auras une réponse à ce sujet. »
    Cette nuit-là, Bran et ses compagnons dormirent profondément
dans la maison. Mais, quand ils s’éveillèrent, ils s’aperçurent qu’ils se
trouvaient dans leur bateau, au milieu de la mer. Jamais ils ne retrouvèrent
l’île mystérieuse, ni la forteresse, ni le pont de verre, ni la maison où, près
du rivage, ils avaient dormi, ni la femme qui leur avait servi une nourriture
et une boisson merveilleuses.
    L’accablement tomba sur eux et Bran eut beau les rassurer en
leur disant que toutes les aventures étaient autant de signes destinés à les
guider vers Émain, ils demeurèrent tristes et désemparés aussi longtemps que le
bateau dériva sur les vagues. Soudain, ils aperçurent une île d’où surgissaient
des bruits étranges, comparables à ceux que produisent les forgerons en
frappant l’enclume de leurs marteaux. Ils s’approchèrent et découvrirent en
effet quatre forgerons qui travaillaient là. Ils se trouvaient tout près du
rivage, quand ils entendirent l’un d’eux dire : « Sont-ils à votre
portée ? – Oui, répondit un autre. Mais qui sont ces gens-là ? – Des
petits garçons, dit le troisième. – Et sur un petit bateau », ajouta le
quatrième.
    En entendant cet échange, Bran fut pris d’une grande
inquiétude. « Éloignons-nous d’ici, dit-il, mais sans retourner le bateau.
Ramons en arrière de façon qu’ils ne s’aperçoivent pas de notre fuite. »
    Ils ramèrent donc en sens inverse. Le premier homme qui
avait parlé dans la forge demanda aux autres : « Sont-ils arrivés au
port maintenant ? – Non, répondit le deuxième. Ils sont immobiles. Ils
n’avancent plus. » Quelques instants plus tard, le premier forgeron reprit
la parole : « Que font-ils maintenant ? – Je pense, dit le
deuxième, qu’ils sont en train de s’enfuir. Ils sont plus loin du port qu’ils
ne l’étaient tout à l’heure. »
    Alors, les forgerons se ruèrent sur le rivage, tenant en
leurs poings d’énormes masses de fer rouge et ils jetèrent celles-ci dans la
mer en direction du bateau. Elles ne l’atteignirent pas, mais tout autour, la
mer se mit à bouillir, tandis que les rameurs s’épuisaient à gagner le grand
large.
    Du coup, ils pénétrèrent dans une mer qui ressemblait à du
verre de couleur verte. Si grande était sa limpidité que les navigateurs
pouvaient voir les cailloux du fond. Mais ils n’aperçurent aucune bête, aucun
poisson, aucun monstre au-dessous d’eux, rien d’autre, parmi les rochers, que
du gravier et du sable de couleur verte. Ils voyagèrent ainsi pendant un long
moment, émerveillés par la beauté et la splendeur transparente de l’eau.
    Mais, bientôt, celle-ci devint semblable à un nuage, et ils
se demandèrent si leur bateau n’allait pas s’y engouffrer, tant

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