Les conquérants de l'île verte
des avertissements du druide Nuca : il lui fallait en tout
et pour tout seize hommes à bord pour compagnons. Maintenant que les trois
frères de lait avaient disparu, tout était rentré dans l’ordre. Non sans
tristesse, Bran décida donc d’abandonner ce troisième frère sur l’île des
Rieurs, et ils reprirent la mer en ramant courageusement.
Bientôt, ils parvinrent en face d’une grande île où se
remarquaient une vaste plaine, de beaux bois drus d’arbres fleuris et un large
plateau tapissé d’herbe tendre. Près de la mer se dressait une forteresse,
grande, haute et puissante. Ils abordèrent et se dirigèrent vers elle. La porte
en était ouverte, et ils pénétrèrent dans la cour, où se dressait une maison
dont la porte était également ouverte. En regardant à l’intérieur, ils virent
dix-sept lits richement ornés de belles tentures le long des murs. Ils virent
aussi seize filles qui préparaient un bain. N’osant pas entrer, cependant, ils
s’assirent dans la cour, face au seuil.
Le soleil commençait à décliner sur l’horizon lorsque
survint une femme montée sur un cheval de race. La cavalière portait une
capuche bleue, un manteau de pourpre brodé, des bracelets niellés d’or, des
sandales d’argent. Elle descendit de cheval devant eux et, aussitôt, l’une des
seize filles prit la monture par la bride et l’emmena dans une écurie. Alors,
la femme s’avança vers Bran, et il reconnut en elle celle qui lui avait apporté
la branche de pommier d’Émain puis lui avait fait entendre la musique des fées.
« Ton arrivée est la bienvenue, ô Bran, fils de Fébal,
dit-elle. Voilà longtemps que j’attendais ce moment. Seul l’espoir de te
recevoir dans cette île m’avait poussée à venir te trouver dans ta forteresse.
Bienvenue aussi à tes compagnons qui ont eu le courage de te suivre au cours de
ta longue navigation. Car il n’est certes pas facile de découvrir cette terre
où je règne sans partage, dans la paix et la joie, sans conflit, sans chagrin,
sans tristesse ni maladie. Mais à présent que vous voici, il convient que vous
entriez dans cette maison. »
Une fois qu’ils y eurent pénétré, ils se baignèrent dans les
cuves qu’on leur avait préparées. Puis, la reine s’assit avec ses seize filles
autour d’elle dans une partie de la maison, tandis que Bran se tenait dans
l’autre avec ses seize compagnons autour de lui. On apporta à Bran un plateau
d’argent chargé de mets exquis et une coupe de verre emplie d’une liqueur
savoureuse. Et de même servit-on un plateau et une coupe à trois de ses
compagnons. Quand ils eurent mangé et bu, la reine se leva et dit : « Comment
mes hôtes vont-ils dormir ? – Comme il te plaira, répondit Bran. – Eh
bien ! dit la reine, que chacun prenne la femme qui se trouve en face de
lui et l’emmène dans une chambre. » Car il y avait dix-sept chambres
équipées chacune d’un bon lit, dans cette maison. Ainsi, les seize compagnons
couchèrent-ils avec les seize filles de la reine, et Bran dormit avec celle-ci.
Le lendemain matin, la reine dit à Bran : « Reste
avec moi sur cette île, ô Bran, fils de Fébal, et la vieillesse ne t’atteindra
jamais. Tu seras toujours aussi jeune que tu l’es actuellement, et ta vie
n’aura pas de fin. Et les plaisirs que tu as goûtés la nuit dernière, tu les
goûteras toutes les nuits. Reste. Tu as déjà trop longtemps erré d’île en île
au milieu des dangers et des angoisses. – Mais qui es-tu donc, ô
femme ? » demanda Bran. La reine éclata de rire. « Que
t’importe ! s’écria-t-elle. On m’a déjà donné tant de noms que je ne sais
lequel retenir d’entre eux. Sache seulement que je suis avec toi et que rien de
mal ne peut désormais t’advenir. Tous ceux qui demeurent en cette île me
respectent et respectent mes hôtes. Je suis leur reine et je leur rends la
justice chaque jour pour que leur vie soit toujours calme et heureuse, sans
dispute et sans conflit d’aucune sorte. »
Sur ces mots, la reine prit congé de Bran et s’en fut hors
de la forteresse, sur la grande prairie, devant l’assemblée de son peuple.
Bran et ses compagnons séjournèrent dans cette île pendant
les trois mois de l’hiver, et il leur sembla que ces trois mois avaient duré
trois ans. Mais, à la fin, la nostalgie s’empara de Nechtân, fils de Collbran.
« Nous sommes ici depuis longtemps, dit-il un jour à Bran. Pourquoi ne
rentrons-nous pas
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