Les conquérants de l'île verte
champion à la force terrible, Credné, le bronzier qui ciselait de
beaux ornements, Goibniu, le forgeron, qui fabriquait armes et instruments
aratoires, Diancecht, l’habile médecin, Mananann, fils de Lîr, expert en l’art
de la navigation, Morrigane, fille d’Ernmas, savante en chants guerriers, et
surtout Éochaid Ollathair, qu’on appelait plus volontiers Dagda, c’est-à-dire
le dieu bon, qui s’entendait plus que quiconque à la magie et au druidisme. Et,
dans chacune des quatre villes où ils étaient établis, un druide enseignait la
jeunesse et racontait les prouesses qu’avaient jadis accomplies les enfants de
Nemed sur la terre d’Irlande et dans le monde entier.
Un jour, une certaine Éri, femme noble entre les plus nobles
des tribus de Dana, se trouvait dans sa demeure à y regarder la terre et la
mer. La mer calme et unie comme une planche de bois bien rabotée. Or, comme
elle était là, contemplant le paysage, depuis sa maison, elle aperçut soudain
quelque chose qui l’étonna : un navire brillant comme de l’argent et qui
voguait, là-bas, en face d’elle. Il lui sembla de grandes dimensions, mais elle
n’en pouvait distinguer la forme. Cependant, le courant le rapprochant de la
terre, elle put mieux l’examiner.
Ainsi remarqua-t-elle qu’un homme était à son bord, et un
homme qui lui sembla d’une beauté exceptionnelle. Sa chevelure d’or lui tombait
aux épaules, et un manteau rehaussé de bandes de tissu doré drapait sa tunique,
elle-même enrichie de broderies d’or. Sur sa poitrine, brillait une broche d’or
incrustée de pierres précieuses. Il avait en outre deux javelots d’argent aux
hampes de bronze poli, cinq colliers d’or autour du cou, ainsi qu’une épée dont
la poignée d’or s’ornait de cercles d’argent et de bossettes en or. Tout
émerveillée, la femme sortit de sa demeure et s’en alla vers le rivage.
L’homme descendit de son bateau, mit pied à terre et,
apercevant Éri, lui dit : « Femme, est-ce le bon moment pour m’unir à
toi ? – Je ne t’ai pas donné rendez-vous, répondit-elle. – Eh bien !
reprit l’homme, considère que je te donne maintenant rendez-vous. Je te demande
donc d’y venir. » Sans plus de façons, ils s’étendirent à même le sol.
Mais, quand ils eurent fini, la femme se mit à pleurer. « Pourquoi
pleurer ? demanda-t-il. – J’en ai deux bonnes raisons, répondit-elle. Je
vais me séparer de toi, et j’en suis chagrine. Les plus beaux hommes des tribus
de Dana m’ont désirée sans m’obtenir, et maintenant que tu m’as possédée, mon
désir est en toi et il y restera jusqu’à mon dernier souffle. – Je ne veux pas
que tu t’inquiètes à ce propos », lui dit l’homme.
Retirant l’anneau d’or qui encerclait son doigt du milieu,
il le mit dans la main de la femme et lui recommanda de ne s’en séparer par don
ni par vente qu’en faveur de celui au doigt duquel il s’adapterait.
« Sois sûr que je ne m’en séparerai jamais, répondit la
femme. Mais j’ai un autre chagrin : d’ignorer qui est venu vers moi. – Tu
ne l’ignoreras pas, dit l’homme. Celui qui est venu vers toi est Élatha, fils
d’Indech, qui est un des chefs des Fomoré. Nous vivons sur des îles au milieu
du brouillard et, si tu veux me retrouver, tu n’auras qu’à montrer cet anneau à
tous ceux que tu rencontreras. De plus, je te dirai que, de notre union, tu
auras un fils, et on ne lui donnera pas d’autre nom que celui d’Éochaid Bress,
c’est-à-dire Éochaid le Beau. Sache que tout ce que l’on voit de beau en
Irlande et dans les îles du nord du monde, que ce soient les prés où paissent
les troupeaux, les champs où l’on cultive le blé, les forteresses qui sont
bâties sur les hauteurs, la bière que l’on boit dans les assemblées, les
chandelles qui illuminent la salle des festins, les femmes qui brillent au
milieu des hommes par leur éclat, les chevaux qui tirent les chars de combat,
tout cela, c’est à ce fils qu’on le comparera. Et l’on dira : C’est Bress [37] . »
Après cela, l’homme des Fomoré prit congé de la femme. Il
remonta sur son navire argenté et disparut sur la mer qui l’avait amené. Quant
à Éri, elle regagna sa demeure. Elle s’aperçut bientôt qu’elle était enceinte
et donna naissance à un fils qui fut appelé Éochaid Bress, comme l’avait dit Élatha
des Fomoré. Huit jours après que la femme eut accouché, le garçon
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