Les conquérants de l'île verte
placer le bras », répondit Airmed.
Et, tandis qu’Oirmiach s’en allait chercher des herbes,
Airmed se mit patiemment à l’ouvrage. Avec de grandes précautions, elle plaça
le bras du porcher sur l’épaule du roi et, lorsque son frère fut revenu avec
les herbes, elle appliqua celles-ci avec tant de soin que le bras s’ajusta à
Nuada sans le moindre défaut. Quiconque eût ignoré que Nuada avait perdu son
bras au cours d’une bataille ne se serait jamais douté que son bras n’était pas
le sien. Mais on n’en persista pas moins à appeler le roi Nuada au Bras
d’Argent [54] .
Sur ces entrefaites, les nobles des tribus de Dana se mirent
à discuter au sujet de la royauté d’Irlande. Certains firent observer que,
Nuada ayant retrouvé une main et un bras, il pouvait régner de nouveau sur son
peuple. Mais d’autres répliquèrent qu’ayant donné la royauté à Bress, fils d’Élatha,
on ne pouvait la lui ôter sans son accord. Or, ils savaient tous que Bress
avait pris goût au pouvoir et ne l’abandonnerait sous aucun prétexte. « Je
sais ce qu’il faut faire, dit alors Dagda. Demandons à Cairpré, qui est poète
et satiriste, d’aller dans la maison de Bress et de le provoquer sur ses
faiblesses et ses injustices. »
Cairpré, fils d’Étaine, qui était le poète des tribus de
Dana, s’en fut donc à la maison royale que Bress s’était fait construire par
Dagda. Il se présenta et demanda l’hospitalité, qu’on lui accorda volontiers.
Mais il trouva la maison de Bress sombre, étroite et inconfortable. On ne lui
procura ni feu pour se chauffer, ni lit pour dormir, ni nourriture
satisfaisante pour apaiser sa faim. On lui apporta trois petits pains, et ils
étaient secs et rassis. Enfin, au lieu de bière et d’hydromel, on lui donna de
l’eau. Il mangea les petits pains, but l’eau, mais il dormit si mal, dans la
maison royale de Bress, que le lendemain, il se leva de fort méchante humeur.
Il sortit de la maison, traversa la cour et prononça ces paroles :
« Sans riche nourriture servie sur un plat d’or, sans lait de vache
généreusement distribué, sans bière enivrante dispensée sans compter, sans
poètes, sans conteurs et sans musiciens, que vaut la maison de Bress, fils d’Élatha ?
Que vaut un roi qui ne sait pas distribuer ses richesses ? Désormais, il
n’y aura ni moisson, ni récolte de lait, ni brassage de bière, ni distribution
de pierres précieuses et d’or fin sur cette terre d’Irlande aussi longtemps que
Bress, fils d’Élatha, en sera le roi suprême. »
Et Cairpré sortit de la forteresse sans ajouter un seul mot.
Bress avait entendu la malédiction prononcée par Cairpré.
Très effrayé, il s’en vint à Tara trouver les nobles des tribus de Dana dans la
maison royale.
« Pourquoi m’avez-vous contraint à subir la satire de
Cairpré ? demanda-t-il. Un roi doit être exempt de toute malédiction de ce
genre. – C’est parce que tu ne t’es pas conduit en roi, répondit Dagda. Non
seulement tu ne nous as rien donné de ta main, mais tu as fait de nous tes
esclaves, et tu nous as obligés à payer de lourdes taxes au profit des Fomoré.
– Certes, ajouta Cian, fils de Diancecht, nous avons eu tort de conclure une
alliance avec les Fomoré. Ils nous ont laissé conquérir cette île sur les Fir
Bolg, mais à seule fin de nous mieux pressurer ensuite et de tirer eux-mêmes
tout le profit de notre victoire. Et tu n’as rien fait pour les empêcher de
nous nuire. – Nous t’avons fait roi, reprit Dagda, parce que notre roi avait
perdu un de ses bras au combat. Toi, tu avais tes deux bras, mais ils n’ont
guère servi à nous procurer richesse et prospérité. – Que pouvais-je faire
d’autre ? dit Bress. – Voilà ce qu’il en est, dit Dagda. Maintenant que
Nuada a retrouvé son bras, il doit être notre roi. Nous te demandons d’abdiquer
ta souveraineté car, maintenant que tu as été satirisé, ton règne ne pourra
donner que misère : il n’y aura plus d’herbe dans les prés pour nourrir
les troupeaux, les vaches n’auront plus de lait, les champs deviendront
stériles. Voilà ce qui arrivera si tu t’obstines à vouloir être roi. –
J’abandonnerai donc la souveraineté, dit Bress. Accordez-moi seulement des
garanties, et je reconnaîtrai Nuada pour notre roi. »
Les nobles des tribus de Dana accordèrent des garanties à
Bress, fils d’Élatha, lui confirmant qu’il serait toujours le bienvenu dans
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