Les conquérants de l'île verte
de toutes les îles et décidèrent de s’embarquer à destination de
l’Irlande. Une fois là, on enverrait des collecteurs d’impôts réclamer le
tribut convenu, et si les hommes de Dana refusaient de payer, on engagerait la
bataille contre eux. Et c’est ainsi que l’Irlande vit survenir une troupe comme
il n’y en eut jamais de plus puissante ni de plus horrible.
Pendant ce temps, les nobles et les champions des tribus de
Dana s’étaient réunis autour de leur roi Nuada au Bras d’Argent dans le palais
royal de Tara. Ils savaient bien que Bress les trahirait et irait demander du
secours aux Fomoré, et c’est pourquoi ils entendaient se préparer à affronter
ces ennemis cruels et impitoyables. Aussi discutaient-ils dans la maison
royale, tandis que le portier veillait à l’extérieur de la forteresse. [55]
Or, comme il scrutait l’horizon, il vit une troupe qui, dans
la plaine, se dirigeait droit sur la forteresse. Un jeune homme se trouvait à
la tête de cette troupe, qui semblait exercer un grand ascendant sur chacun de
ses compagnons. L’éclat de son visage était semblable à la lumière du soleil
couchant, et son large front brillait comme de l’or. Il montait un cheval à la
crinière aussi belle que les vagues de la mer et aussi rapide que la bise
froide et nue du printemps. Il était revêtu d’une armure étincelante, et sur sa
tête brillait un casque aussi beau que somptueux, car une élégante pierre
précieuse l’ornait à l’arrière et deux autres à l’avant. Il portait aussi une
épée merveilleuse : quiconque en était blessé perdait la vie, et quiconque
la voyait miroiter dans l’ardeur du combat devenait aussi faible qu’une femme
en couches [56] .
Se détachant de la troupe, le jeune homme s’avança vers le
portier. « Qui es-tu ? lui demanda celui-ci. – On m’appelle Lug au
Long Bras. Je suis fils de Cian, fils de Diancecht, et d’Ethné, fille de Balor
des îles qui sont dans le brouillard. Et j’ai été élevé par Tailtiu, fille de
Magmor, des Fir Bolg. – Très bien, dit le portier, et que désires-tu, fils de
Cian ? – Je veux me rendre à l’assemblée des nobles et des champions des
tribus de Dana, afin de leur parler, répondit Lug. – Cela est bien beau,
répliqua le portier, mais, sache-le, nul n’est admis à l’assemblée de la maison
royale de Tara s’il ne justifie de la maîtrise d’un art, quel qu’il soit. Que
sais-tu faire ? – Il m’est facile de répondre à ta question. Je sais
construire des charpentes pour le toit des maisons et édifier des palissades
autour des forteresses. – Je ne doute pas de ton art, mais nous avons déjà un
charpentier. Il se nomme Luchté, fils de Luachaid, et il nous donne toute satisfaction
lorsqu’il s’agit de construire des retranchements ou d’établir des charpentes
pour le toit des maisons. – Je suis également capable de forger des socs de
charrue et des armes aux pointes bien acérées, reprit Lug. Je sais battre le
métal quand il sort de la forge et façonner des objets à ma guise. – Je ne mets
pas en doute ton habileté, rétorqua le portier, mais nous avons déjà un
forgeron qu’on nomme Goibniu, et que personne ne peut dépasser dans les arts du
métal. – Je suis également un champion capable de vaincre tous les champions
qui me sont opposés sur le champ de bataille, dit Lug. – Grand bien te
fasse ! s’exclama le portier, mais nous avons déjà un champion qu’on
appelle Ogma. À lui seul, il est capable de vaincre une centaine d’hommes armés
qui l’agresseraient. – Je suis aussi harpiste, reprit Lug, et je sais jouer les
airs de la joie, de la tristesse et du sommeil. – Pour cela, objecta le
portier, nous avons ce qu’il nous faut. Craftiné est notre harpiste et, en
plus, notre protecteur Dagda possède une harpe magique sur laquelle il peut
jouer tous les airs qu’il choisit. La harpe se détache d’elle-même du mur
auquel elle est suspendue et, spontanément, vient se placer entre les doigts de
Dagda. Tu vois bien que nous n’avons pas besoin de toi dans cette assemblée
royale. – Cependant, dit Lug, je suis poète et historien. Je connais les
histoires du temps passé, et je peux les raconter à tous ceux qui m’en font la
demande. Je suis la mémoire vivante des tribus de Dana et de tous les peuples du
monde. – Nous avons déjà un poète, Cairpré, fils d’Étaine. Il connaît les
événements du monde depuis sa création, et il
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