Les conquérants de l'île verte
répands ainsi vers le Connaught et
vers l’Ulster, parce que c’est au confluent de ces deux provinces que se
livrera la bataille contre les Fomoré. – Peux-tu m’en dire davantage
là-dessus ? demanda Dagda. – Ce n’est pas le moment, dit Morrigane. Il me
semble que nous avons autre chose à faire, puisque tu m’as donné rendez-vous. –
Certes, dit Dagda, mais c’est sur ton avis que je te l’ai fixé ici. Pourquoi
nous faut-il toujours ne nous retrouver qu’en secret, à l’écart de tout, à
l’insu des hommes des tribus de Dana ? – Tu sais parfaitement qu’ils ne
supporteraient pas de me savoir en ta compagnie. Ils ressentiraient tous une
jalousie mortelle à ton égard. – Cependant, dit Dagda, je ne suis pas le seul
homme dont tu honores les rendez-vous. – Il est vrai, ô Dagda, mais personne ne
doit le savoir. Car, aux yeux des hommes des tribus de Dana, je suis libre, et
chacun d’eux espère que je vais jeter les yeux sur lui. Je plongerais les cœurs
dans la plus grande confusion s’il s’ébruitait quelque chose de mes
rendez-vous. »
Sortant alors du ruisseau qui coulait vers l’Ulster,
Morrigane s’avança vers Dagda. Elle portait une robe rouge couleur de sang, et
sa chevelure était ordonnée en neuf tresses. « Dénoue mes cheveux »,
dit-elle. Dagda prit les tresses une à une, les dénoua, et la chevelure de
Morrigane, qui avait le noir de la plume de corbeau, se répandit sur ses
épaules et s’écroula le long de son dos jusqu’à lui frôler les reins. Elle
s’étendit sur l’herbe et dit : « Il est temps. Viens à
présent. »
Dagda se coucha à ses côtés, et elle lui prodigua l’amitié
de ses cuisses. On appelle maintenant l’endroit où ils s’unirent le Lit du
Couple. Quand ils en eurent terminé, Dagda se releva. « Je dois te
quitter, dit-il, car j’ai pour mission de repérer l’endroit où se seront
établis les Fomoré, puis de les retarder le plus possible afin de permettre aux
tribus de Dana d’être prêtes pour le combat. – En cela, je peux t’aider, dit
Morrigane. Vois-tu cette troupe d’oiseaux noirs qui volent au-dessus de
nous ? Ils viennent de l’est, et s’ils se précipitent de la sorte en
direction du soleil couchant, c’est qu’une armée horrible les a effrayés. Il n’est
pas difficile de savoir d’où ils viennent, ainsi affolés : ils arrivent de
la plaine de Scene, près du rivage. Voilà le lieu où les Fomoré ont débarqué en
masse, et voilà où ils ont établi leur camp. – Je vais donc aller dans la
plaine de Scene, dit Dagda. Je les observerai, et je verrai ce qu’il convient
de faire pour retarder leur expédition. Mais toi, que vas-tu faire,
maintenant ? – D’abord attendre le moment propice, répondit Morrigane,
puis je me rendrai parmi les Fomoré, et je demanderai à voir leur roi. On me
laissera passer parce que je suis femme, et belle et désirable. Et j’entrerai
dans la tente du roi Indech. Mais, quand il voudra satisfaire l’envie qu’il
aura de moi, je lui enlèverai le sang de son cœur et les rognons de sa valeur.
Alors, j’irai au-devant des tribus de Dana et leur montrerai mes
dépouilles : ils comprendront ainsi que les Fomoré ont perdu leur roi, et
leur courage dans la bataille en sera accru [65] . »
Là-dessus, Dagda se sépara de Morrigane et s’en vint
directement à la plaine de Scene. Une fois sur les lieux, il observa longuement
l’activité des Fomoré puis se décida. Il alla trouver les gardes et leur dit
qu’il désirait parler aux Fomoré des conventions nécessaires pour la bataille.
On le conduisit donc auprès d’Indech, roi des Fomoré, qui
l’accueillit avec déférence, car il savait que Dagda était un sage parmi les
hommes de Dana. Ils discutèrent du lieu où se déroulerait la bataille et du
jour où elle débuterait. Puis, le roi dit à son hôte qu’il désirait le traiter
avec les plus grands égards, et il ordonna à ses serviteurs et à ses cuisiniers
de lui servir de la nourriture.
Les Fomoré commencèrent par lui donner à boire, de larges
rations de bière et de l’hydromel autant qu’il voulait. Puis ils lui
préparèrent de la bouillie, car ils connaissaient son goût immodéré pour elle,
mais ils se promettaient surtout, ce faisant, de se moquer de lui et de le
prendre au piège de sa gourmandise. Ils remplirent donc à son intention le
chaudron du roi à la hauteur de cinq poings d’hommes puissants avec du lait
frais et
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