Les conquérants de l'île verte
celles-ci et, sur leur conseil, se leva de son
siège et pria le jeune guerrier de s’y asseoir. Lug au Long Bras prit donc
place sur le siège royal, bien qu’il ne fût pas roi lui-même, et Nuada resta debout
devant lui durant treize jours et treize nuits. Après quoi, le roi s’en fut
trouver Dagda et Ogma pour leur dire en secret qu’il était d’avis de confier à
Lug, fils de Cian, la conduite de la guerre qui allait éclater entre eux et les
Fomoré. Ogma et Dagda approuvèrent ce choix et furent d’avis qu’il convenait de
discuter avec Lug sur la façon dont on engagerait le combat. Se rassemblant
donc autour de lui, ils lui demandèrent son opinion.
Après avoir réfléchi quelques instants, il demanda au
forgeron Goibniu quelle prouesse il pouvait accomplir pour eux. « Ce n’est
pas difficile, répondit Goibniu. Quand bien même les hommes d’Irlande seraient
en guerre pendant sept années, pour chaque fer de javelot qui se détacherait de
sa hampe, chaque épée qui se briserait, je fournirais une arme nouvelle à la
place. Aucune pointe forgée de ma main ne manquera son coup. Aucune peau
dans laquelle elle pénétrera ne pourra conserver de vigueur. Le forgeron des
Fomoré ne saurait en faire autant. Quant à moi, je suis prêt pour la bataille,
et je suivrai chacun pour l’assister en cas de nécessité. – Et toi, Diancecht,
reprit Lug, en vérité, quel haut fait peux-tu accomplir ? – Ce n’est pas
difficile : quiconque aura été blessé, je le rendrai sain et sauf et prêt
pour la bataille du lendemain, à moins qu’on ne lui ait coupé la tête ou
tranché la moelle. – Et toi, Credné, dit Lug au bronzier, quel sera ton haut
fait dans la bataille ? – Ce n’est pas difficile : je fournirai à
chacun des rivets de javelots, des poignées d’épées, des bossettes et des
bordures de boucliers. – Et toi, Luchté, dit Lug au charpentier, quelle
prouesse pourras-tu accomplir, face aux Fomoré ? – Ce n’est pas
difficile : je fournirai à chacun tous les boucliers et les bois de lance
nécessaires, et je remplacerai sur-le-champ tous ceux qu’on aura brisés dans
l’ardeur du combat. – Et toi, Ogma, dit Lug au champion, que feras-tu dans la
bataille contre les Fomoré ? – Ce n’est pas difficile : en repoussant
le roi des Fomoré et trois neuvaines de ses guerriers, je ferai gagner le tiers
de la bataille aux hommes d’Irlande. Personne ne pourra résister aux coups que
je porterai. – Et toi, Morrigane, dit Lug à la magicienne, quel sera ton haut
fait dans cette bataille ? – Ce n’est pas difficile : ce que je
poursuivrai, je l’atteindrai, et ce par la vertu de mes incantations. La plante
des pieds des Fomoré blanchira quand ils auront été terrassés par mon art, et
leurs champions mourront tous l’un après l’autre par rétention d’urine. Quant
aux autres guerriers, je leur susciterai une telle soif qu’elle les affaiblira,
et je ferai si bien fuir les ruisseaux devant eux qu’ils ne pourront découvrir
où boire. Et j’ensorcellerai les arbres, les pierres et les mottes de terre de
façon que nos ennemis, les prenant pour des troupes en armes [59] ,
s’enfuient, pleins d’horreur et d’angoisse. – Et toi, Cairpré, toi qui charmes
nos oreilles par tes chants mélodieux, dit Lug au poète, quel est le haut fait
qui te serait le plus agréable dans cette bataille ? – Ce n’est pas
difficile : j’irai au-devant de la troupe des Fomoré, et je leur chanterai
la gloire de nos pères, les fils de Nemed. Puis je les satiriserai. Je lancerai
contre eux le glam dicin [60] le plus redoutable que l’on ait jamais prononcé en Irlande. Ainsi les Fomoré
seront-ils déshonorés à la face du monde entier, et ils ne résisteront pas à
l’assaut des nôtres, et cela grâce à la magie de mon art, sois-en certain, Lug,
fils de Cian. »
Alors, Lug au Long Bras se tourna vers les druides qui se
trouvaient dans l’assemblée et leur dit : « Et vous, druides des
tribus de Dana, quelles prouesses accomplirez-vous pendant la bataille ? –
Ce n’est pas difficile : nous provoquerons tant de tempêtes et de pluies
de feu sur les visages des Fomoré qu’ils ne pourront plus lever la tête vers le
ciel et succomberont à la vigueur des guerriers qui s’acharneront contre eux.
Et si cela ne suffit pas, nous ferons disparaître les sources, les rivières et
les lacs d’Irlande afin que les Fomoré ne puissent plus étancher la
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