Les conquérants de l'île verte
Bress,
fils d’Élatha, il serait bon de tenter une dernière fois d’éviter l’affrontement.
– Serais-tu lâche ? s’écria Indech. Aurais-tu peur de te mesurer aux
guerriers des tribus de Dana ? – Certes non, roi suprême, répondit Bress.
Si je parle ainsi, c’est dans l’intérêt de tous. Pour ma part, je serai parmi
vous dans le combat et, quoi qu’il puisse arriver, je m’y conduirai en roi.
Mais si nous exterminons les hommes d’Irlande, cette île sera déserte. Il ne
s’y trouvera plus personne pour cultiver les champs et s’occuper des troupeaux.
Où serait notre profit ? Vos propres terres sont dans les îles au milieu
du brouillard, et votre intérêt est de maintenir les hommes d’Irlande dans la
servitude afin qu’ils vous procurent en abondance nourriture et richesses. Il
serait de votre intérêt que les hommes d’Irlande acceptent, par crainte de votre
puissance, de me rendre la royauté : ainsi pourrais-je vous fournir ce qui
vous revient. – Tu as sans doute raison, dit Indech. Qu’on envoie une vingtaine
d’hommes vers les hommes d’Irlande pour leur demander de payer ce qu’ils nous
doivent et de reconnaître Bress comme roi suprême. S’ils acceptent ces
dernières propositions, s’ils consentent à payer le tribut, nous nous
abstiendrons de les combattre et repartirons vers nos îles. Mais s’ils
refusent, il leur faudra subir un combat mortel et disparaître de cette terre
dont nous serons, dès lors, les seuls maîtres. »
Le roi des Fomoré ordonna à une vingtaine de guerriers,
parmi les plus courageux et les plus cruels, de s’apprêter à gagner Tara afin
de réclamer le tribut dû aux Fomoré et d’obliger les hommes de Dana à
reconnaître Bress, fils d’Élatha, comme leur roi suprême. Aussitôt groupés, les
émissaires partirent sans plus tarder. Et ils ne mirent pas longtemps à
atteindre Tara. [68]
En voyant cette troupe hargneuse et de mauvaise mine
s’arrêter devant les remparts de la forteresse, le portier, terrifié, s’enquit
de ce qu’elle voulait, et on lui donna réponse. Il s’empressa d’aller trouver
Nuada et l’informa des prétentions des Fomoré : ils exigeaient ce qu’on
leur devait de récoltes, de bétail et d’objets précieux, ainsi que la
restitution de la royauté à Bress, fils d’Élatha.
Nuada bondit de son siège, très en colère. « Va leur
répéter mes paroles, répondit-il au portier : jamais plus les fils de Dana
ne paieront de tribut aux Fomoré, jamais plus Bress, fils d’Élatha, ne sera le
roi suprême d’Irlande. Ajoute ceci encore : nous livrerons bataille au
jour fixé dans la plaine de Tured, et nous détruirons tous les Fomoré, parce
qu’ils n’ont aucun droit sur cette terre et que nous voulons nous libérer de
toute contrainte qui nous serait imposée par des étrangers. Qu’ils retournent
donc vers les leurs, et qu’ils se préparent à nous affronter pour leur plus
grande honte et leur plus dure destinée. »
Le portier transmit le message, et les Fomoré, sans
insister, partirent rejoindre l’armée du roi Indech. Sur ces entrefaites,
survint Lug, fils de Cian. Il s’informa de ce qui venait de se passer et, en
apprenant les exigences de l’adversaire, il entra dans une fureur noire :
« Comment ? s’écria-t-il. Vous avez subi pendant de si longues années
le joug des Fomoré, ils vous ont réduits en esclavage, et vous laissez repartir
sains et saufs les plus mauvais et les plus cruels d’entre eux ? – Nous ne
pouvions faire autrement, répondit Nuada. Ils étaient venus en messagers, il était
difficile de les empêcher d’aller rejoindre leur armée. – Je n’ai que faire de
vos scrupules ! rugit Lug. Il fallait les retenir en otages ou les
massacrer pour qu’ils ne puissent plus vous nuire, lors de la bataille qui se
prépare. Je vais donc les poursuivre et leur faire payer cher leur audace et
leurs prétentions ! – Non pas ! intervint alors Cian, fils de
Diancecht. Il ne t’appartient pas, mon fils Lug, de poursuivre ces malfaiteurs.
Ta place est ici, parmi les chefs des tribus de Dana, qui s’apprêtent à livrer
la plus grande bataille qu’on ait jamais vue dans le monde. C’est moi qui
m’élancerai à la poursuite de cette troupe abominable. »
Et, avant que personne eût pu réagir, Cian sauta sur un
cheval et se mit à galoper à bride abattue sur les traces des Fomoré. Deux de
ses frères, qui avaient nom Cu et Ceithenn, décidèrent
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