Les conquérants de l'île verte
l’automne pour
le moissonner et l’hiver pour le manger. Il n’y a là rien de nouveau. »
Lug revint une nouvelle fois vers Bress. « Tu ne seras
pas épargné, lui dit-il, car ce que tu proposes, nous l’avons déjà. – Ce n’est
pas certain, reprit Bress, car, si l’on m’épargne, je vous dirai comment labourer,
semer et moissonner. Ce sont là trois choses que vous ignorez. – Si tu me les
révèles, dit Lug, je te garantis la vie sauve. – Eh bien, voici, dit Bress. Il
faut labourer le mardi, il faut répandre la semence un mardi, et il faut
moissonner un mardi. »
Et c’est grâce à cette ruse qu’il avait inventée que Bress,
fils d’Élatha, eut la vie sauve après la bataille de la plaine de Tured.
Sur ce, Lug rejoignit Dagda et Ogma. Ogma, l’homme fort,
avait trouvé l’épée du roi des Fomoré. Il l’avait sortie de son fourreau et la
nettoyait. Alors, l’épée raconta ce qu’elle avait vu et entendu car, en ce
temps-là, les épées avaient coutume, lorsqu’elles étaient dégainées, de faire
connaître les exploits qu’elles avaient accomplis ou dont elles avaient été les
témoins. C’est pourquoi il y a maintenant des sortilèges dans les épées. Il
faut savoir qu’en ce temps-là, ce sont les démons qui parlaient par
l’intermédiaire des armes, et voilà pourquoi souvent les hommes adoraient les
armes.
Lug, Dagda et Ogma dressèrent des piliers pour les héros qui
avaient succombé durant la bataille, et ils y gravèrent des inscriptions. Puis
Morrigane, la magicienne, vint les rejoindre. « Où en es-tu et que
vois-tu ? lui demanda Dagda. – Je vois la victoire et le triomphe pour maintenant,
répondit-elle, mais je vois le malheur pour les temps à venir. Le monde ne me
plaira guère, car il y aura des étés sans fleurs, des vaches sans lait, des
femmes sans pudeur, des hommes sans courage, des arbres sans fruits et des mers
sans poissons. Plus rien ne sera comme auparavant : les vieillards auront
le jugement faux, les hommes seront traîtres les uns aux autres, les fils
voleront leurs pères, mais les pères iront dans le lit des fils. Voilà le monde
qui sera. Mais, en ce jour, il y a victoire et triomphe pour les tribus de
Dana. »
Et Morrigane, fille d’Ernmas, s’en alla à travers toute
l’Irlande pour annoncer que les tribus de Dana avaient vaincu les Fomoré des
îles dans le brouillard au cours de la grande bataille de la plaine de Tured. [75]
CHAPITRE V
La vengeance de Lug
Après la victoire des tribus de Dana sur les Fomoré dans la
plaine qu’on appela depuis Mag-Tured, Lug au Long Bras rencontra deux frères de
son père, Cu et Ceithenn, tous deux fils de Diancecht, et il leur demanda s’ils
avaient vu Cian dans la bataille. « Nous ne l’y avons pas vu,
répondirent-ils. Nous nous étions jetés à sa suite sur les traces des Fomoré
qui étaient venus à Tara exiger le paiement du tribut. Mais nous ne sommes pas
parvenus à le rejoindre, car nous sommes partis vers le sud, tandis qu’il
allait vers le nord. Et, depuis lors, nous ne l’avons pas revu. – Les Fomoré
l’auraient-ils tué ? demanda Lug. – Nous ne le pensons pas, répondirent Cu
et Ceithenn, car les Fomoré se dirigeaient vers le sud, et nous doutons fort
qu’il les ait rencontrés. – Partons à sa recherche », dit Lug au Long
Bras.
Ils chevauchèrent tous trois jusqu’à l’endroit où leurs
routes avaient dû diverger et, piquant franchement au nord, finirent par se
retrouver dans la plaine de Murthemné. « Je suis sûr que mon père n’est
plus en vie, dit Lug, et je fais serment de ne plus prendre ni nourriture ni
boisson tant que je ne saurai de quelle manière il a succombé. »
Or, comme ils arrivaient près d’un tertre qui se dressait au
milieu de la plaine, voici que la terre se mit à parler. Elle dit à Lug qu’en
ce même lieu Cian, rejoint par les fils de Tuirenn, avait pris l’apparence d’un
porc. Elle dit aussi qu’il avait péri de leurs mains après avoir repris son
aspect naturel et se trouvait inhumé sous le tertre.
Alors, Lug et les deux frères de Cian se mirent à creuser
sous le tertre. Ils découvrirent le corps et examinèrent les blessures
innombrables qu’il avait reçues et qui avaient provoqué sa mort. « Il n’a
pas été tué en combat loyal, dit Lug. Ces blessures ont été causées par des
pierres que les fils de Tuirenn ont jetées sur lui. Ils ont commis là un crime
abominable sur la personne de
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