Les conquérants de l'île verte
accuses, ô Lug, fils de Cian ; c’est à propos de
nous que tu parles de meurtre et de compensation. Selon ce que tu supposes,
nous nous sommes dressés tous les trois contre le fils de Diancecht. Nous
n’avons pas à faire d’aveu, mais nous ne nous déroberons pas non plus. Nous
sommes prêts à te donner un prix de compensation pour la mort de Cian comme si
nous avions commis ce crime nous-mêmes. – Fort bien, dit Lug, je vais donc vous
proposer le prix de la compensation. – Quel est-il donc, ô Lug ?
Dis-le-nous. – Le voici, reprit Lug. Je vous demande trois pommes, une peau de
porc, une lance, deux chevaux et un char, sept cochons, un jeune chien, une
broche à rôtir et trois cris poussés sur une colline. Voilà quel est le prix de
la compensation pour le meurtre de mon père. S’il vous paraît excessif, je le
diminuerai, mais s’il vous paraît à votre portée, payez-le sans davantage
discuter. – En vérité, répondit Brian, fils de Tuirenn, nous le trouvons
minime, et voilà pourquoi je te soupçonne de méditer quelque traîtrise à notre encontre.
Il aurait été modéré, en effet, de nous réclamer trois cent mille pommes, la
même quantité de peaux de porc, cent lances, cent chevaux et cent chars, cent
cochons, cent chiens, cent broches à rôtir et cent cris à pousser sur une
colline. – Dans ce cas, reprit Lug, je maintiens ce prix de compensation. Je
vous donnerai la garantie des chefs des tribus de Dana ; je ne vous
demanderai rien d’autre et je serai toujours loyal envers vous. Mais j’exige
que vous me donniez la même garantie. »
Les trois fils de Tuirenn jurèrent alors qu’ils paieraient
le prix de la compensation, et ils donnèrent pour garanties Nuada, roi suprême
d’Irlande, ainsi que Bobdh Derg, fils de Dagda, et quelques-uns des chefs qui
se trouvaient là. « Puisqu’il en est ainsi et que j’ai vos garanties, dit
Lug, je vais maintenant vous donner connaissance de ce que vous devrez
m’apporter. – Nous allions t’en prier, dirent les fils de Tuirenn. – Eh bien,
voici, dit Lug. Les trois pommes que je vous réclame sont les trois pommes du
Jardin des Hespérides, qui se trouve à l’est du monde. Il n’est pas de pommes
qui puissent me satisfaire en dehors de celles-là, qui sont les meilleures et
les plus belles de toute la terre. Elles ont la couleur de l’or le mieux poli,
et la tête d’un enfant d’un mois n’est pas plus grande que chacune d’elles.
Elles ont le goût du miel quand on les mange, et elles ne laissent ni amertume
ni aigreur dans la bouche. De plus, elles ne diminuent pas quand on en
consomme, même tous les jours. Celui qui réussira à enlever l’une de ces pommes
aura réussi le plus bel exploit possible en ce monde, car la pomme lui
appartiendra pour toujours. Et je sais que, selon une prophétie de ce lointain
pays, ce sont trois jeunes gens courageux et hardis venus de l’ouest de
l’Europe qui les raviront de force.
« La peau de porc que je vous demande, continua Lug,
est la peau de porc qui appartient à Tuis, roi de Grèce. Cette peau guérit et
rend sains tous les blessés et les malades qui s’en revêtent, si mauvais que
soit leur état, pourvu qu’ils aient encore un souffle de vie. Ce porc avait une
vertu exceptionnelle : si l’on faisait passer sur lui une rivière, l’eau
de celle-ci se changeait en vin pendant neuf jours. Toute blessure qu’il
touchait était cicatrisée mais, à en croire les druides de la Grèce, sa peau
seule, et non lui, possédait cette vertu. Aussi l’a-t-on tué et écorché, et la
peau en est conservée depuis lors. Il ne vous sera certainement pas facile de
vous en emparer, car elle est surveillée et bien gardée. Et savez-vous quelle
lance je vous réclame ? – Nous ne le savons pas, répondirent les fils de
Tuirenn. C’est à toi de nous le dire. – Eh bien, voici, reprit Lug. C’est la
lance empoisonnée de Pisear, roi des Perses. Il s’agit d’une arme magique qui
accomplit les exploits les plus extraordinaires du monde. Elle est si ardente
qu’en temps de paix, on laisse continuellement sa tête plongée dans un chaudron
d’eau froide. Si l’on ne procédait ainsi, la ville où elle se trouve serait
incendiée et détruite. Oui, vraiment, il vous sera très difficile de l’obtenir.
Maintenant, savez-vous quels sont les deux chevaux et le char que je désire
recevoir de vous ? – Nous ne le savons pas, car c’est à toi de nous le
dire. – Eh
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