Les conquérants de l'île verte
leurs
poèmes aux hôtes de la salle. Quand ils eurent fini, Brian pria ses frères de
leur succéder, mais ils refusèrent, prétextant qu’ils savaient seulement
combattre. Brian s’avança donc lui-même devant le roi et l’assemblée. On fit un
grand silence en son honneur, et il chanta un poème qu’il termina par ces
vers :
« La peau d’un porc, richesse sans égale,
Telle est la récompense que je demande. »
« Ton poème est très bon, lui dit alors le roi, mais
que signifie cette allusion à la peau de porc ? Je ferais plus volontiers
l’éloge de ce poème si tu n’y avais mis cela, car c’est la dernière des
impertinences que de me demander cette peau. Sache que, pour rien au monde, je
ne la donnerais aux poètes et aux artistes, pas plus qu’aux nobles et aux
princes, à moins qu’on ne s’avisât de me l’enlever de force. Mais, pour te
récompenser, je consens à te donner trois fois le plein d’or de cette peau de
porc, sois-en assuré. – Qu’il te vienne tout le bien possible pour ta
générosité, ô roi, répondit Brian. Mais je te préviens : je suis si avide
que je ne prendrai l’or que tu me proposes que s’il est pesé et mesuré
convenablement dans cette peau, et ce en ma présence, car je n’ai confiance en
personne. »
Le roi ordonna à ses serviteurs et à ses intendants de
conduire Brian et ses frères dans la maison du trésor afin d’y mesurer et peser
l’or. Mais, en arrivant sur les lieux, Brian se saisit de la peau d’un mouvement
preste de la main gauche et la plia soigneusement dans l’intention de
l’emporter puis, dégainant son épée, en assena à l’homme qui l’accompagnait un
coup si violent qu’il le coupa en deux. Après quoi, serrant contre lui la peau,
il se fraya un passage au milieu des serviteurs et des intendants, et ses deux
frères vinrent le rejoindre. Le roi et ses guerriers se précipitèrent vers eux
mais, au cours du rude combat, héroïque et sanglant, qui s’ensuivit, le roi de
Grèce périt de la main même de Brian, et ses deux frères massacrèrent tant de
gens autour d’eux que personne ne put les empêcher de sortir de la ville et de
regagner la barque de Mananann.
Ils eurent tôt fait d’être en haute mer et ne cessèrent de
naviguer qu’ils ne fussent arrivés sur le rivage de la Perse. Là, Brian et ses
frères prirent à nouveau l’apparence de poètes venus d’Irlande, et c’est comme
tels qu’ils furent introduits chez le roi. Celui-ci les reçut fort bien et leur
demanda de chanter. Brian récita un chant qu’il venait d’improviser, mais dans
lequel il était incidemment question de la lance de Pisear, roi des Perses.
« Ton poème est très bon, dit le roi lorsque Brian eut
fini de chanter. Mais je ne comprends pas pourquoi tu y as mentionné la lance,
ô poète d’Irlande ? – Ce n’est pas difficile, répondit Brian. C’est tout
simplement parce que je veux obtenir en récompense la lance merveilleuse que tu
possèdes. – Tu es vraiment mal inspiré de m’adresser cette requête, dit le roi.
Et je n’ai pas fait preuve de plus d’honneur et de générosité envers les nobles
et les princes de ce pays qu’envers toi en ne te mettant pas à mort
immédiatement. »
À ces paroles, Brian se souvint qu’il avait pris deux pommes
au Jardin des Hespérides. Il en saisit une et la lança sur le roi avec tant de
fureur qu’elle lui traversa la cervelle. Puis, il dégaina son épée et se mit à
massacrer tous ceux qui se trouvaient à sa portée, tandis que ses deux frères
faisaient de même. Ils découvrirent alors la lance, la pointe plongée dans un
chaudron pour éviter que ne s’embrasât la maison. Ils s’en emparèrent, ainsi
que du chaudron, et regagnèrent en hâte la barque de Mananann.
Ils reprirent la mer et ne tardèrent guère à se retrouver
devant la forteresse du roi de Sicile. Brian dit à ses frères qu’ils se
présenteraient sous l’apparence de trois mercenaires d’Irlande venus dans
l’intention de prendre du service auprès du roi. Ainsi, sans avoir besoin de
combattre, apprendraient-ils, au bout d’un certain temps, dans quel endroit
l’on gardait les chevaux et le char qu’ils avaient coutume d’entraîner dans les
courses et les combats. Et ils abordèrent, sur ces entrefaites, au terre-plein
derrière lequel se dressait la ville.
Le roi, les princes et les nobles de sa maison vinrent à
leur rencontre en un cortège des mieux ordonné.
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