Les conquérants de l'île verte
redescendit en hâte vers la plaine et
s’en vint raconter à ses frères ce qu’il avait vu. Mais Brégu, fils de Bréogan,
se moqua de lui, disant que la terre qu’il avait vue ne pouvait être qu’un
nuage dans le ciel. Néanmoins, Ith insista et les emmena tous sur le sommet
d’où lui était apparue la terre merveilleuse. « Tu avais raison, dirent
les fils de Bréogan, il s’agit d’une terre où il ferait bon vivre en faisant
paître nos troupeaux et en cultivant de riches plaines. Préparons-nous à partir
et à nous élancer sur la mer. »
Pendant plusieurs semaines, les Fils de Milé construisirent
des bateaux qu’ils équipèrent et où ils eurent soin d’entreposer des provisions
et de l’eau douce. Quand tous leurs préparatifs furent terminés, ils levèrent
l’ancre et mirent à la voile. Et les vents les poussèrent rapidement en plein
cœur de l’océan qui entoure le monde, au risque de les culbuter dans les abîmes
où règnent les ténèbres de la nuit.
Ils naviguaient déjà depuis plusieurs jours quand la brume
les enveloppa. Comme le vent était tombé, ils allèrent longtemps à la dérive
sur les flots. Mais, tout à coup, ils virent à travers la brume une faible
lumière qui semblait surgie de nulle part. Ils essayaient tous de voir ce qu’il
en était et commençaient à désespérer, se croyant aux confins du monde, quand
ils aperçurent la silhouette d’une tour au milieu de la mer. Ils ramèrent de
toutes leurs forces dans sa direction et parvinrent ainsi au-dessous d’une
immense tour qui, plantée droit dans la mer, s’élançait vers le ciel. Et leur
stupéfaction fut grande quand ils virent que cette tour était en verre et qu’à
l’intérieur allaient et venaient des hommes qui ne semblaient pas prendre garde
à eux.
Les Fils de Milé crièrent le plus fort qu’ils purent pour
attirer l’attention des inconnus. Ceux-ci les regardèrent, mais sans s’étonner
autrement de les voir, et ils ne leur dirent rien. Alors, les Fils de Milé leur
demandèrent qui ils étaient et quelle était cette tour. Mais, de l’autre côté de
la muraille de verre, les autres, sans répondre un seul mot, continuèrent à
vaquer à leurs occupations comme si de rien n’était. Alors, la lumière
disparut, et la brume les noya dans une étrange obscurité qui les pénétra
d’angoisse [81] .
Cependant, la brume ne tarda pas à se dissiper, et aussi
vite qu’elle s’était formée. Ils se retrouvèrent en pleine mer, tandis que le
soleil commençait à décliner sur l’horizon. Mais ils eurent beau regarder de
tous leurs yeux tout autour, ils ne virent pas trace de la tour de verre ni de
ses mystérieux habitants. Alors, ils reprirent leur navigation vers le nord.
Ils abordèrent en Irlande sur la grève qui borde la plaine
qu’on appelle aujourd’hui Mag Itha en souvenir de Ith qui, le premier des Fils
de Milé, y posa le pied. Quant au deuxième qui aborda, ce fut son frère Amorgen
au genou blanc, le poète, qui, sitôt son pied droit posé sur la terre, chanta
le chant que voici :
« Mer poissonneuse et brillante,
terre fertile, bois vallonnés,
avec des multitudes d’oiseaux,
mer rude aux vagues blanches,
profonds estuaires
avec des centaines de saumons,
irruption de poissons,
mer poissonneuse infiniment,
rivières abondantes en eau,
terre fertile et verdoyante… »
Les Fils de Milé étaient arrivés sur trente-six navires. Une
fois qu’ils eurent tous débarqué, des gens vinrent à eux pour leur parler, et
ils s’aperçurent avec stupeur, les uns et les autres, qu’ils parlaient la même
langue, c’est-à-dire le gaélique, et leur entretien en fut d’autant plus
affable. Les Fils de Milé s’enquirent du nom de l’île et de l’identité des
habitants. « Vous êtes sur l’île d’Elga, répondirent-ils, et nous appartenons
aux tribus de Dana. Nous avons actuellement trois rois, Mac Cuill, Mac Cecht et
Mac Greine, fils de Cermat, fils de Dagda, et leurs trois reines sont Banba,
Fothla et Ériu [82] . »
Après s’être concertés sur ce qu’il convenait de faire, les
Fils de Milé convinrent d’envoyer l’un des leurs vers les rois des tribus de
Dana afin de leur demander s’ils pouvaient s’installer dans une partie de cette
île afin de la cultiver et d’y faire paître des troupeaux. Et comme c’est Ith
qui les avait menés jusque-là, c’est à lui qu’ils confièrent cette mission. Il
partit aussitôt, avec
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