Les conquérants de l'île verte
autres, qui
s’ébattaient sur le rivage, riant, chantant et se divertissant à qui mieux
mieux. Elles étaient toutes assemblées par couples que reliait une chaîne d’argent.
Elles portaient un collier d’argent ; une chaîne d’or leur ceignait la
taille, et leurs chevelures étaient magnifiques [91] .
Néanmoins, l’une d’entre elles, plus grande que ses compagnes d’au moins une
tête, se distinguait au premier coup d’œil. « Regarde celle-ci, là-bas,
dit Bobdh Derg au Mac Oc. N’est-elle pas celle que tu as vue pendant ton
sommeil, qui venait te visiter et te jouer de la musique ? – Certes, c’est
elle, répondit Angus, je la reconnais bien. Il faut maintenant que j’aille lui
parler. – Cela est impossible, répondit Bobdh Derg, car elle ne relève pas de
mon autorité, et nul ne peut approcher ces jeunes filles. Je ne puis rien
d’autre pour toi. Tu n’as pas le droit de lui parler, encore moins celui de
l’emmener. – Que faire, alors ? demanda Angus. J’étais malade de ne la
voir que pendant la nuit, et parce qu’elle me fuyait dès que je voulais
l’attirer vers moi. Et maintenant que je la vois en plein jour, je ne saurais
l’approcher ? Ma tristesse n’en est que plus grande. – Écoute-moi, dit
Bobdh Derg. Je vais te donner un conseil : cette fille est Caer Ibormaith,
et elle a pour père Éthal Anbual du Tertre de Uaman, dans la province de
Connaught. La seule façon de l’approcher et de l’obtenir serait de la demander
à son père. Mais il ne consentira jamais à te l’accorder que contraint par la
force ou par la magie. Telle est la situation. »
Angus et ses gens se rendirent alors vers la demeure de
Dagda, Bobdh Derg avec eux. Boann s’y trouvait, en compagnie de Dagda et Angus
leur raconta ce qu’il avait vu, leur décrivit la jeune fille, leur vanta sa
beauté, sa distinction, déplorant qu’il fût si difficile de l’approcher et de
l’obtenir. « Qui est-elle donc ? » demanda Dagda.
Bobdh Derg le lui dit, lui nomma aussi ses père et
grand-père. « Hélas ! répondit Dagda, à mon grand regret, je ne te
puis rien faire pour toi, mon fils, car cette fille n’est pas en mon pouvoir.
Personne ne pourra l’obtenir que son père ne la lui accorde lui-même, et je
sais qu’à moins d’y être obligé par la force ou par des incantations, il n’y
consentira jamais. – Il serait bon, dit Bobdh Derg à Dagda, que tu te rendes en
personne chez Ailill et Maeve [92] ,
car c’est dans leur province que se trouve la jeune fille. Si tu le leur
demandes, ils pourront faire quelque chose. »
Sans tarder, Dagda partit donc pour la province de
Connaught, avec une escorte d’au moins soixante chars, et en compagnie de son
fils Angus. Le roi et la reine leur souhaitèrent la bienvenue, et ils furent
une semaine entière à festoyer autour des mets et des boissons qu’on leur
servait.
« Quel est l’objet de votre venue ? demandèrent
enfin Ailill et Maeve. – Je vais vous l’expliquer, répondit Dagda. Il se trouve
dans votre province une jeune fille que mon fils aime d’amour mais qu’il ne
peut ni rencontrer ni obtenir, ce qui lui cause tristesse et langueur. Je suis
venu vers vous pour savoir comment cette jeune fille peut être approchée et
obtenue. – Qui est-elle ? demanda Ailill. – Caer Ibormaith, la fille d’Éthal
Anbual. – Hélas ! repartit Ailill, nous n’avons nul pouvoir sur elle. Nous
n’en ferons pas moins tout notre possible pour que ton fils l’obtienne. – Dans
ce cas, dit Dagda, il serait bon que tu convoques son père afin que nous en
puissions discuter avec lui. – Je le ferai », promit Ailill.
L’intendant d’Ailill partit immédiatement pour le Tertre de
Uaman et, une fois en présence d’Éthal Anbual, lui dit : « Je viens,
de la part du roi Ailill et de la reine Maeve, te prier d’aller les voir, car
ils voudraient s’entretenir avec toi. – Je n’irai pas, répondit Éthal, car je
connais parfaitement l’objet de leur demande. Sache-le, jamais je ne donnerai
ma fille au fils de Dagda. »
L’intendant revint à la forteresse d’Ailill et de Maeve et
leur rapporta mot pour mot les paroles qu’avait prononcées Éthal Anbual. « Puisqu’il
en est ainsi, s’exclama Ailill, je jure qu’Éthal Anbual viendra quand même
discuter avec nous ! Nous rapporterons les têtes de ses guerriers et
l’emmènerons, lui, de gré ou de force. »
Il rassembla donc une troupe d’hommes armés
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