Les contrebandiers de l'ombre

cette lettre une fois remise à son destinataire.

    Chapitre 3

    La cloche avait dû juste sonner le changement de quart à bord du H.M.S. Hindrance, un cotre garde-côte, stationné dans le canal de Bristol. Surveillant une partie de la côte du Devonshire, cette unité avait eu la charge d'empêcher le trafic des contrebandiers. Les alcools, le thé, le tabac et les soieries de contrebande privaient la Couronne de revenus substantiels et nécessaires. Pourtant, dans ces parages, les criques étaient trop nombreuses et les brigands abondaient, prêts à tout pour de l'argent facile. Les officiers étaient en nombre insuffisant, les cachettes innombrables entre les fermes et les celliers d'églises, avec la complicité ou la simple complaisance des paysans et des vicaires contre une caisse de bon cognac.
    Ce jour-là, l'aurore avait vu flotter en lambeaux les couleurs du roi, qui avaient été levées à l'appui du coup de semonce contre un lougre de contrebande. Le rugissement des canons qui avait suivi la montée du pavillon faisait place à un lourd silence, troublé par le flot de la houle sur le pont du bateau, maintenant désemparé sur les rochers. Ceux de l'équipage qui n'avaient pas été balayés par-dessus bord avaient abandonné le bâtiment. C'était un bon navire pourtant, servi par un bon capitaine et un excellent équipage. Trop bon, en fait, et cela au point d'être trahi. Le H.M.S. Hindrance avait été donné par un félon dès son départ en campagne, pour qu'il s'échoue sur ce rivage inhospitalier.
    Froide et furieuse, la mer soulevait, roulait et laissait retomber le Hindrance sur la crête écumeuse d'une vague, sans autre but que de le précipiter contre les rochers pointus et de déchiqueter sa coque. Ses voiles étaient en loques, et son mât abattu, coupé à hauteur d'homme. Contre la limite grisâtre du ciel, on pouvait voir la ligne sombre des récifs mortels.
    Deux tours noires dominaient cette scène funèbre. D'une de ces tours, un signal lumineux avait guidé le Hindrance contre les récifs.
    A la base d'un escarpement se trouvait un étroit croissant de plage sablonneuse, un abri précaire contre la colère de l'océan. Les quelques survivants du cotre n'y trouvèrent aucun salut et furent impitoyablement massacrés par une équipe de contrebandiers armés de couteaux et de gourdins.
    Les morts ne parlent pas... Mais si le capitaine du H.M.S.- Hindrance avait pu remuer ses lèvres maintenant incrustées de sel, ou simplement lever un doigt accusateur, son assassin eût été aussitôt identifié.
    Peu auparavant, le capitaine du cotre avait suspecté la présence d'un informateur parmi la troupe de dragons qui stationnait à Westlea Abbot. En essayant d'identifier le traître qui prévenait les contrebandiers de ses allées et venues le long de la côte, le capitaine avait commis l'erreur fatale de frapper à la mauvaise porte. Bien trop tard, il avait compris son aveuglement.
    Entre-temps, le capitaine et l'homme en qui il avait placé sa confiance, un homme hautement respecté, occupant une fonction officielle, avaient amené l'officier démasqué à avouer sa faute et à demander son pardon.

    Le traître avait offert des informations intéressantes au sujet des contrebandiers : une livraison était prévue ce soir-là à Bishop's Creek. Deux signaux lumineux, puis trois étaient le code pour cette opération. Bien que ce fût contre son bon sens, le capitaine s'était laissé persuader de ne pas informer ses supérieurs de la trahison, ni de la confession de cet officier, tout au moins dans l'immédiat. Le gentilhomme qui l'assistait était après tout le magistrat local : il conseilla la plus grande discrétion. Le lendemain serait plus approprié pour envoyer une dépêche «résumant la situation, en attirant l'attention sur son heureuse conclusion. Ils auraient certainement arrêté les chefs de cette bande. Tout ce beau monde serait aux fers et le rapport n'en serait que meilleur.
    Sans méfiance, le jeune capitaine avait accepté ce marché. L'officier déshonoré serait enfermé à la prison de Westlea Abbot. La décision prise, le capitaine retourna à son navire. Mais il aurait dû être sur ses gardes quand il vit le lougre sortir de la nuit, alors qu'il montait la garde le long de la côte en vue de ce coup de filet. Le capitaine avait cru la victoire à portée de main en ordonnant d'ouvrir le feu sur le navire des contrebandiers. En regardant vers la côte, il