Les contrebandiers de l'ombre

ne put empêcher sa fille de répondre avec joie au douteux individu qui l'avait interpellée depuis le fond de la salle. L'homme se déplaçait comme sur le pont d'un navire et son costume était plus celui d'un pirate que d'un honnête marin.

    Avant que ce coupe-jarret au sourire édenté n'atteigne Rhea, Alec Mc Donald le bouscula pour prendre sa place. Au moins, il avait l'air plus civilisé, pensa le duc, mais il portait quand même un inquiétant coutelas à la ceinture.
    — Lady Rhea, nous vous remercions d'abord de prendre le temps de nous dire adieu, commença nerveusement Mc Donald.
    Il n'avait pas manqué de remarquer l'inconnu au visage austère qui avait pris place au côté de lady Rhea Claire. La balafre n'était guère rassurante. Mais Rhea sourit avec naturel.
    — Père, M. Mc Donald a combattu avec mon grand-père à Culloden. Il se souvient de mère et de tante Mary quand elles étaient enfants.
    — Votre Grâce, Mc Davanel of Mc Davanel était un homme brave, pour sûr. Il m'a bien aidé et offert l'hospitalité à Timeredaloch après la bataille. Ce fut un bien grand privilège pour moi de connaître sa petite-fille.
    Lord Dominick poussa un soupir après cette rocailleuse tirade. Encore une fois, il était privé du plaisir de pouvoir détester l'un de ces contrebandiers.
    — Merci, monsieur Me Donald, fit-il avec un sourire amical. Ma femme, qui a toujours été fière de ses origines écossaises, sera certainement touchée d'apprendre votre obligeance à l'égard de sa fille.
    Alec Me Donald allait commencer une phrase quand un léger coup d'épaule le rappela à l'ordre et lui fit perdre le fil de son discours.
    — Ah, euh... Oui, comme j'étais sur le point de vous le dire, lady Rhea, reprit-il en fronçant les sourcils à l'adresse de son voisin, au nom de l'équipage du Dragon des mers, nous voulions vous remercier de nous avoir apporté la chance et la fortune, déclara-t-il, solennel, après un long raclement de gorge.
    — Je crains malheureusement de n'avoir fait que vous encombrer. Mais ces souvenirs me seront toujours précieux. Je vous souhaite à tous la bénédiction de Dieu et la meilleure chance, répondit Rhea aux hommes qui venaient de s'attrouper autour d'elle.
    Un autre homme s'avança pour faire une profonde et un peu. théâtrale révérence.
    — C'est certainement une mauvaise affaire que de dire adieu à une si jolie femme, mais pour qu'elle n'oublie pas tout à fait l'équipage du Dragon des mers, nous espérons qu'elle acceptera cette petite marque de notre estime.
    Le discours fleurait le par-cœur, mais cela restait charmant. Fitzsimmons sortit une petite boîte de cuir de sa poche. Sous l'œil impatient de tout l'équipage, Rhea ouvrit le cadeau surprise. Son expression ne le déçut point. Ses yeux se remplirent de larmes. Du bout des doigts, elle caressa la broche si finement ciselée représentant un bateau en or aux voiles de diamants. La lisse était d’émeraudes alternant avec des saphirs. A la proue, trônait un dragon grimaçant en éclats de rubis. Rhea resta sans voix. Une telle générosité était un trésor en soi.
    L'expression de son visage fut une satisfaction pour chacun.
    — Chacun de nous a donné une pierre, commenta Alastair Marlowe, émergeant de la troupe.
    — Merci à tous ! s'écria lady Rhea. Cette broche sera partout et toujours avec moi.
    Parmi tous les membres de l'équipage, elle n'arrivait pas à trouver la petite tête sombre.
    — Je ne le vois pas, je ne peux pas partir sans lui dire au revoir, Dante ! s'exclama-t-elle avec anxiété, sentant la main impatiente de son père sur son épaule.
    — Je le lui dirai, fit Dante, se voulant apaisant.
    — Je ne peux pas partir sans expliquer à Conny ce qui s'est passé ! répliqua-t-elle avec énervement.
    — Qui est Conny ? demanda le duc, de plus en plus exaspéré que sa fille se mêlât si librement à ce groupe de brigands.
    — C'était le garçon de cabine à bord, expliqua Dante. Celui qui a été blessé à Antigua et soigné par Rhea. Votre fille s'est beaucoup attachée à lui depuis qu'elle est montée à bord.
    — Il nous faut partir, ma chère, lui rappela le duc.

    Avec un soupir de déception, elle se laissa entraîner. Plusieurs voix la hélèrent et elle lança un dernier adieu.
    Tenant la réplique du Dragon des mers dans sa main gantée, elle accepta l'escorte de son père.
    Dans le hall d'entrée, elle se retourna et rencontra le regard de Dante pendant