Les contrebandiers de l'ombre

qui devraient rester cachées jusqu'à la prochaine collecte. Certaines étaient pour l'usage personnel de Sam et signifiaient un joli profit pour 1 auberge. Dora s'assit dans un coin.
    — Jusqu'où tout cela va nous mener, Sam ? de-manda-t-elle pour la millième fois, bien qu'elle sût parfaitement qu'il n'y avait pas de réponse.
    Sam soupira, mais pas d'exaspération, et se recoucha dans ce lit qu'ils partageaient depuis trente ans.
    — Ce n'était pas comme ça au début, reprit-elle après un long silence.
    — Je sais, répondit-il, la main sur le front.
    — Ted dit que tout a changé quand Jack Shelby a repris l'affaire.
    — Ton frère a bien raison. Shelby a ramené des étrangers, des criminels, des déserteurs pour la plupart. De vrais gibiers de potence. J'ai entendu dire que deux d'entre eux sont recherchés pour meurtre du côté de Bristol.
    — Bah, j'parie qu'on est tous recherchés pour meurtre, maintenant, lui rappela Dora.
    — Mmm, j'aime pas plus que toi ce qui s'est passé l'autre nuit dans Dragons Cove. Dans le temps, il n'y avait pas de meurtres de sang-froid, comme ça !
    — Tuer des innocents de cette manière, même si ce sont des gens du roi... Tout ça est honteux, et nous y sommes mêlés.
    — Tu crois que cela me plaît ? répliqua Sam furieux. Plus personne n'ose rien dire, surtout maintenant. Tout leur est permis et rien ne les arrête. Ils s'invitent, ne payent rien et font bonne chère chez les autres. J'ai entendu dire qu'ils ont même violé Mary Webber et sa fille aînée, la nuit, quand ils ont brûlé leur maison.
    — Ô Seigneur Dieu, je ne savais pas ça ! s'étouffa Dora, se félicitant d'être grand-mère.
    — Se font appeler les fils de Belial, cracha Sam. Plutôt les fils de p...
    — Chut ! Sam ! Ne parle pas comme ça ! s'écria Dora en scrutant les recoins sombres de la chambre. (Les murs pouvaient avoir des oreilles et un mot de trop menait vite à la tombe.) J'espère que Ted ne bavarde pas comme une pie borgne, à tort et à travers. L'ennui, c'est qu'il n'est pas du genre à mâcher ses mots quand il n apprécie pas quelque chose.
    — Pourtant, je crois bien qu'il a une bonne idée. J'vois pas pourquoi on pourrait pas former notre propre bande. C'est la seule façon de faire du commerce, sinon, comment veux-tu vivre avec toutes ces taxes ?
    Sam se demandait aussi comment il allait payer l'avoine pour ses chevaux.
    — Ted dit qu'il pourrait avoir la moitié de la bande actuelle, la plupart des gens du coin, ajouta Dora dans un chuchotement.

    — Sûr que beaucoup voudraient revenir au temps de l'honnête contrebande, pas compliquée.
    J'sais même pas qui a choisi Shelby pour être le chef. Personne ne m'a jamais demandé mon avis. Il semble toujours avoir la bourse pleine et savoir où les Dragons vont se promener.
    Mais personne ne l'aime beaucoup. Ted sait bien que je marche avec lui.
    — Quand va-t-il parler à Shelby ?
    — Demain, je crois, et moi, je préfère être à ma place qu'à la sienne. Ton frère est courageux.
    — Tu as l'air inquiet ? demanda Dora, elle-même anxieuse.
    — Sûr que je le suis. Shelby devient mauvais comme une teigne, parfois. Chaque année, ça empire. Sûr qu'il va apprécier que Ted lui mange une partie de son bifteck !
    — Lui ou un autre ?
    — Que veux-tu dire ?
    — Ted me disait l'autre jour qu'il ne pense pas Shelby capable de diriger cette affaire. Qu'il y a quelqu'un derrière pour tirer les ficelles. Et Ted me disait qu'il avait deviné qui c'est, confia Dora.
    — Et qui c'est ?
    — Me l'aurait pas dit. Il sait quand il faut la fermer.
    — Bah ! J'espère seulement qu'il n'ira pas dire à Shelby qu'il est trop couillon pour être le chef. Shelby a de ces poussées de fureur...
    — Il a toujours été soupe au lait, non ? Mais ça s'arrange pas... Il a plus jamais été le même depuis qu'il a trouvé sa fille trucidée dans la lande. Il est devenu fou, oui ! Il devrait être au cabanon depuis longtemps !
    — D'accord, Dora, mais qui va s'en charger? Personne de sensé n'élèvera la voix contre Shelby. Il a même rossé le vicaire qui avait osé le critiquer en chaire. Celui-là, il devait en tenir une, de biture, ce jour-là ! fit Sam en ricanant. Oh ! On peut toujours se féliciter d'une chose...
    — Et de quoi ?
    — Que Merdraco soit toujours vide ! Sûrement que le jeune fou doit être au fond de la mer à cette heure, lui et son rafiot ! J'ai été surpris qu'il devienne corsaire. Quel sauvage,