Les contrebandiers de l'ombre
avant le grand nettoyage durant lequel l'énergie des serviteurs rivalisait avec celle des vents d'ouest du mois de mars qui dévalaient les collines et frappaient contre les vitres.
Bientôt, les prés seraient recouverts d'une profusion de marguerites, de coquelicots et d'autres fleurs sauvages.
Dante Leighton, debout devant l'une des portes-fenêtres, suivait le vol d'un roitelet à quelque distance. Le vent l'emportait vers un bois, de l'autre côté d'un petit lac où se trouvait l'ancienne chapelle entourée de cyprès. C'était sous les poutres médiévales de cet édifice que Rhea et lui avaient répété leurs vœux, devant une assemblée un peu serrée de Dominick et de Fletcher. Il n'avait pas eu la moindre hésitation face à l'imposant révérend Smalley derrière son pupitre. Celui qui avait baptisé Rhea ressemblait à un ancien mystique, trait qu'accentuaient les candélabres ouvragés de l'autel qui grésillaient dans le silence recueilli de l'assemblée familiale.
L'ancien capitaine du Dragon des mers, dont le courage n'avait jamais failli non plus face au canon, brossait ses boucles d'une main tremblante. Dante avait peur comme jamais au cours de sa vie, et il ne pouvait contrôler cet état.
Pour la millième fois, il regarda dans la direction de la chambre bleue qui donnait sur les jardins. Rhea Claire était là, étendue dans le lit à baldaquin, donnant le jour au fruit de leur amour. Dante avala péniblement sa salive en repensant aux cris qu'il avait entendus ce matin.
Malgré sonsourire courageux, ses yeux s'étaient assombris, et des sueurs froides le parcouraient.
On l'avait renvoyé de la chambre et ses questions étaient restées sans réponse. Rawley et la duchesse se précipitèrent au chevet de Rhea et lui fermèrent la porte au nez. Dante n'eut plus qu'à se servir un autre brandy.
Son regard erra sur les collines lointaines, sur lesquelles tombait le soleil comme de l'or fondu. Du coin de l'œil, il observait les autres personnes présentes dans la pièce. Ce n'étaient plus des étrangers pour lui. Il avait appris à les considérer comme sa famille. Maintenant, ils partageaient avec lui les souffrances de l'attente et les angoisses de ce moment capital.
En quelques mois, il était même arrivé à les apprécier et à attacher du prix à leur amitié.
C'était une impression bizarre pour Dante, qui n'avait jamais eu de sœur ou de frère, ni connu les relations qui existent souvent entre père et fils.
Tout ne s'était pas fait du jour au lendemain. Leurs soupçons contre lui avaient de profondes racines. Il admettait même qu'ils étaient parfois bien fondés dans leurs craintes. Les années aidant... Avec l'aide de la duchesse, qui était devenue une de ses ferventes partisanes, il s'était trouvé inclus dans les conversations qui, jadis, l'ignoraient. Parfois, il était même le centre de l'attention, spécialement des plus jeunes, que captivaient ses aventures de corsaire.
Les Fletcher étaient arrivés la veille, à la tombée de la nuit, sur la foi d'une vision de lady Mary. Dante restait encore assez irrité par ce don encombrant dans lequel il n'avait pas entièrement confiance. Il avait du respect pour le général, sir Terence. Ils pouvaient converser sur de nombreux sujets et le retraité des armes ne nourrissait plus de colère contre lui. Même James, ce chenapan qui avait été fort près de l'occire, avait oublié l'épisode douloureux et rejoint ses frères et sœurs dans l'auditoire assidu des démêlés du capitaine Leighton en mer des Antilles.
Francis Dominick, le frère de Rhea, d'un an de moins qu'elle seulement, avait été plus dur à rallier. Le digne fils du duc lui avait tourné le dos pendant plusieurs mois. Pourtant, nul ne résistait au charme inépuisable de Dante Leighton, et Francis s'était un beau jour retrouvé avec ses cousins pour essayer de battre le capitaine aux cartes. Jusqu'à présent, Robin était son seul échec. Et il n'avait jamais espéré recevoir le moindre signe d'amitié de la part de lord Dominick, qui était visiblement résolu à lui battre froid. Il avait cependant escompté persuader le jeune Robin qu'il n'était pas l'ogre qu'il croyait voir en lui.
Il ne pouvait imaginer les relations orageuses et pleines de rancune qu'avaient Robin et Conny. Leur rivalité pour le cœur de Rhea avait grandi au fil des jours.
Conny ne représentait pas un mince problème, en réalité. Le jeune sauvage, qui ne trahissait
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