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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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atteint habituellement plusieurs dizaines de milliers de dinars, voire cent mille ou plus. Mais, pour les humbles, une vingtaine de dinars par famille représente le revenu d'une année ou de deux. Des milliers de malheureux se sont rassemblés devant les portes de la cité pour mendier quelques pièces. Al-Adel, qui n'est pas moins sensible que son frère, demande à Saladin la permission de libérer sans rançon mille prisonniers pauvres. En l'apprenant, le patriarche franc en demande sept cents autres, et Balian cinq cents. Ils sont tous libérés. Puis, de sa propre initiative, le sultan annonce pour toutes les personnes âgées la possibilité de partir sans rien payer, ainsi que la libération des pères de famille emprisonnés. Quant aux veuves et aux orphelins francs, il ne se contente pas de les exempter de tout paiement, il leur offre des cadeaux avant de les laisser partir. 
    Les trésoriers de Saladin sont au désespoir. Si on libère les moins fortunés sans contrepartie, que l'on augmente au moins la rançon des riches! La colère de ces braves serviteurs de l’Etat atteint son comble lorsque le patriarche de Jérusalem sort de la ville accompagné de nombreux chariots remplis d'or, de tapis et de toutes sortes de biens des plus précieux. Imadeddin al-Asfahani en est scandalisé, comme il le raconte lui-même.
Je dis au sultan : « Ce patriarche transporte des richesses qui ne valent pas moins de deux cent mille dinars. Nous leur avons permis d'emporter leurs biens, mais pas les tré- ‘sors des églises et des couvents. Il ne faut pas les leur laisser! » Mais Salaheddin répondit :  Nous devons appliquer à la lettre les accords que nous avons signés, ainsi personne ne pourra accuser les croyants d'avoir trahi les traités. Bien au contraire, les chrétiens évoqueront en tous lieux les bienfaits dont nous les avons comblés. »
    De fait, le patriarche paiera dix dinars, comme tous les autres, et bénéficiera même d'une escorte pour pouvoir atteindre Tyr sans être inquiété. 
    Si Saladin a conquis Jérusalem, ce n'est pas pour amasser de l'or, encore moins pour se venger. Il a surtout cherché, explique-t-il, à accomplir son devoir à l'égard de son Dieu et de sa foi. Sa victoire, c'est d'avoir libéré la Ville sainte du joug des envahisseurs, et cela sans bain de sang, sans destruction, sans haine. Son bonheur, c'est de pouvoir se prosterner en ces lieux où, sans lui, aucun musulman n'aurait pu prier. Le vendredi 9 octobre, une semaine après la victoire, une cérémonie officielle est organisée dans la mosquée al-Aqsa. Pour cette occasion mémorable, de nombreux hommes de religion se sont disputé l'honneur de prononcer le sermon. Finalement, c’est le cadi de Damas Mohieddin Ibn al-Zaki, successeur d'Abou-Saad al-Harawi, que le sultan désigne pour monter en chaire, vêtu d'une précieuse robe noire. Sa voix est claire et puissante, mais un léger tremblement trahit son émotion : « Gloire a Dieu qui a gratifié l'islam de cette victoire et qui a ramené cette cité au bercail après un siècle de perdition! Honneur à cette armée qu'Il a choisie pour achever la reconquête! Et salut à toi, Salaheddin Youssef, fils d'Ayyoub, qui as redonné à cette nation sa dignité bafouée! »

CINQUIÈME PARTIE 
LE SURSIS (1187-1244)
Lorsque le maître de l'Egypte décida de livrer Jérusalem aux Franj, une immense tempête d'indignation secoua tous les pays d'islam. 
Sibt Ibn AL-JAWZI, chroniqueur arabe (1186-1256).
    CHAPITRE XI 
L'IMPOSSIBLE RENCONTRE
    Vénéré comme un héros au lendemain de la recon- quête de Jérusalem, Saladin n'en est pas moins critiqué. Amicalement par ses proches,de plus en plus sévèrement par ses adversaires.
Salaheddin, dit Ibn aI-Athir, ne montrait jamais aucune fermeté dans ses décisions. Lorsqu'il assiégeait une ville et que les défenseurs résistaient pendant quelque temps, il se lassait et levait le siège. Or un monarque ne doit jamais agir ainsi, même si le destin le favorise. Il est souvent préférable d'échouer en restant ferme plutôt que de réussir et de gaspiller ensuite les fruits de son succès. Rien n'illustre mieux cette vérité que le comportement de Salaheddin à Tyr. C'est uniquement sa faute si les musulmans ont subi un revers devant cette place.
    Bien qu'il ne fasse nullement preuve d'une hostilité systématique, l'historien de Mossoul, fidèle à la dynastie de Zinki, s'est toujours montré réservé à l'égard de

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