Les croisades vues par les arabes
mesures prises par les Franj est d'expulser de l'église du Saint-Sépulcre tous les prêtres des rites orientaux - Grecs, Géorgiens, Arméniens, Coptes et Syriens - qui y officiaient ensemble en vertu d'une ancienne tradition que tous les conquérants avaient respectée jusqu'alors. Abasourdis par tant de fanatisme, les dignitaires des communautés chrétiennes orientales décident de résister. Ils refusent de révéler à l'occupant le lieu où ils ont caché la vraie croix sur laquelle le Christ est mort. Pour ces hommes, la dévotion religieuse à l'égard de la relique est doublée de fierté patriotique. Ne sont-ils pas, en effet, les concitoyens du Nazaréen? Mais les envahisseurs ne se laissent nullement impressionner. Arrêtant les prêtres qui ont la garde de la croix et les soumettant à la torture pour leur arracher leur secret, ils parviennent à enlever par la force aux chrétiens de la Ville sainte la plus précieuse de leurs reliques.
Alors que les Occidentaux achèvent de massacrer quelques survivants embusqués et font main basse sur toutes les richesses de Jérusalem, l'armée rassemblée par al-Afdal avance lentement à travers le Sinaï. Elle n'atteint la Palestine que vingt jours après le drame. Le vizir, qui la conduit en personne, hésite à marcher directement sur la Ville sainte. Bien qu'il dispose de près de trente mille hommes, il ne s'estime pas en position de force, car il manque de matériel de siège, et la détermination des chevaliers francs l'effraie. Il décide donc de s'installer avec ses troupes dans les environs d'Ascalon et d'envoyer une ambassade à Jérusalem pour sonder les intentions de l'ennemi. Dans la ville occupée, les émissaires égyptiens sont conduits auprès d'un grand chevalier aux cheveux longs et à la barbe blonde qu'on leur présente comme Godefroi de Bouillon, nouveau maître de Jérusalem. C'est à lui qu'ils transmettent le message du vizir accusant les Franj d'avoir abusé de sa bonne foi et leur proposant un arrangement s'ils promettent de quitter la Palestine. Pour toute réponse, les Occidentaux rassemblent leurs forces et se lancent sans délai sur la route d'Ascalon.
Leur avance est si rapide qu'ils arrivent à proximité du camp musulman sans que les éclaireurs les aient même signalés. Et, dès le premier engagement, l'armée égyptienne lâcha pied et reflua vers le port d'Ascalon , relate Ibn al-Qalanissi. Al-Afdal s'y retira aussi. Les sabres des Franj triomphèrent des musulmans. La tuerie n'épargna ni les fantassins, ni les volontaires, ni les gens de la ville. Dix mille âmes environ périrent et le camp fut pillé.
C'est sans doute quelques jours après la débâcle des Egyptiens qu'arrive à Baghdad le groupe de réfugiés conduit par Abou-Saad al-Harawi. Le cadi de Damas ignore encore que les Franj viennent de remporter une nouvelle victoire, mais il sait déjà que les envahisseurs sont maîtres de Jérusalem, d'Antioche et d’Edesse, qu'ils ont battu Kilij Arslan et Danishmend, qu'ils ont traversé toute la Syrie du nord au sud, massacrant et pillant à leur guise sans être inquiétés. Il sent que son peuple et sa foi sont bafoués, humiliés, et il a envie de le crier haut pour que les musulmans se réveillent enfin. Il veut secouer ses frères, les provoquer, les scandaliser.
Le vendredi 19 août 1099, il a emmené ses compagnons à la grande mosquée de Baghdad et, à midi, lorsque les croyants affluent de toutes parts pour la prière, il se met à manger ostensiblement, alors qu'on est en ramadan, le mois du jeûne obligatoire. En quelques instants, une foule en colère se presse autour de lui, des soldats s'approchent pour l'arrêter. Mais Abou-Saad se lève et demande calmement à ceux qui l'entourent comment ils peuvent se montrer si bouleversés par une rupture de jeûne alors que le massacre de milliers de musulmans et la destruction des lieux saints de l'islam les laissent dans une complète indifférence. Ayant ainsi imposé le silence à la foule, il décrit alors en détail les malheurs qui accablent la Syrie, « Bilad-ech-Cham », et surtout ceux qui viennent de frapper Jérusalem. Les réfugiés ont pleuré, et ils ont fait pleurer , dira Ibn al-Athir.
Quittant la rue, c'est dans les palais qu’al-Harawi porte le scandale. « Je vois qu'ils sont faibles, les soutiens de la foi! » s'écrie-t-il au diwan du prince des croyants, al-Moustazhir-billah, un jeune calife de vingt-deux ans. Le teint clair, la barbe
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