Les croisades vues par les arabes
signer un armistice avec Jérusalem : les revenus des terres agricoles situées entre les deux capitales seront partagés en trois, un tiers pour les Turcs, un tiers pour les Franj, un tiers pour les paysans, note Ibn al-Qalanissi. Un protocole fut rédigé sur cette base . Quelques mois plus tard, la métropole syrienne reconnaît, par un nouveau traité, la perte d'une zone plus importante encore : la riche plaine de la Békaa, située à l'est du mont Liban, est à son tour partagée avec le royaume de Jérusalem. En fait, les Damascains sont tout simplement réduits à l'impuissance. Leurs récoltes sont à la merci des Franj, et leur commerce transite par le port d’Acre où les marchands génois font désormais la loi. Au sud de la Syrie comme au nord, l'occupation franque est une réalité quotidienne.
Mais les Franj ne s'arrêtent pas là. En 1108, ils sont a la veille du plus vaste mouvement d'expansion territoriale qu'ils aient lancé depuis la chute de Jérusalem. Toutes les grandes villes de la côte sont menacées, et les potentats locaux n'ont plus ni la force ni la volonté de se défendre.
La première proie visée est Tripoli. Dès 1103, Saint-Gilles s'est installé aux abords de la ville et a fait construire une forteresse à laquelle les citadins ont donné d'emblée son nom. Bien conservée, « Qalaat Saint-Gilles » est encore visible au xxº siècle, au centre de la ville moderne de Tripoli. A l'arrivée des Franj, toutefois, la cité se limite au quartier du port, al-Mina, au bout d'une presqu'île dont cette fameuse forteresse contrôle l'accès. Aucune caravane ne peut atteindre Tripoli ou en sortir sans être interceptée par les hommes de Saint-Gilles.
Le cadi Fakhr el-Moulk veut à tout prix détruire la citadelle qui menace d'étrangler sa capitale. Toutes les nuits, ses soldats tentent des coups de main audacieux pour poignarder un garde ou endommager un mur en construction, mais c'est en septembre 1104 qu'a lieu l'opération la plus spectaculaire. Toute la garnison de Tripoli ayant effectué une sortie en masse sous la conduite du cadi, plusieurs guerriers francs sont massacrés et une aile de la forteresse est incendiée. Saint-Gilles lui-même est surpris sur l'un des toits enflammés. Gravement brùlé, il meurt, cinq mois plus tard, dans d'atroces souffrances. Durant son agonie, il demande à voir des émissaires de Fakhr el-Moulk et leur propose un marché : les Tripolitains cesseraient d'attaquer la citadelle, en échange de quoi, le chef franc s'engagerait à ne plus gêner le trafic des voyageurs et des marchandises. Le cadi accepte.
Etrange compromis! Le but même d'un siège n'est-il pas précisément d'empêcher la circulation des hommes et des vivres? Et, pourtant, on a l'impression qu'entre assiégeants et assiégés des relations presque normales se sont établies. Du coup, le port de Tripoli connaît un regain d'activité, les caravanes vont et viennent après avoir payé une taxe aux Franj, et les notables tripolitains traversent les lignes ennemies munis d'un sauf-conduit! En réalité, les deux belligérants attendent. Les Franj espèrent qu'une flotte chrétienne viendra, de Gênes ou de Constantinople, leur permettre de donner l'assaut à la ville assiégée. Les Tripolitains, qui ne sont pas sans le savoir, attendent eux aussi qu'une armée musulmane vienne à leur secours. L'appui le plus efficace devrait venir d'Egypte. Le califat fatimide est une grande puissance maritime dont l'intervention suffirait à décourager les Franj. Mais, entre le seigneur de Tripoli et celui du Caire, les relations sont une fois encore désastreuses. Le père d'al-Afdal a été esclave dans la famille du cadi et il semble qu'il ait entretenu de bien mauvais rapports avec ses maîtres. Le vizir n'a jamais caché sa rancœur et son désir d’humilier Fakhr qui, de son côté, préférerait abandonner sa ville à Saint-Gilles plutôt que de remettre son sort entre les mains d'al-Afdal. En Syrie non plus, le cadi ne peut compter sur aucun allié. Il lui faut chercher des secours ailleurs.
Quand les nouvelles de la victoire de Harran lui parviennent, en juin 1104, il envoie donc sur-le-champ un message à l'émir Sokman pour lui demander de parfaire son triomphe en éloignant les Franj de Tripoli. A l'appui de sa demande, il lui offre une grande quantité d'or et s'engage à couvrir tous les frais de l'expédition. Le vainqueur de Harran est tenté. Rassemblant une puissante armée,
Weitere Kostenlose Bücher