Les croisades vues par les arabes
il se dirige vers la Syrie. Mais arrivé à moins de quatre journées de marche de Tripoli, un accès d'angine le terrasse. Ses troupes se dispersent. Le moral du cadi et de ses sujets s'effondre. En 1105, néanmoins, une lueur d'espoir apparaît. Le sultan Barkyaruq vient de mourir de la tuberculose, ce qui met fin à l'interminable guerre fratricide qui paralyse l'empire seldjoukide depuis le début de l'invasion franque: Désormais, l’Irak, la Syrie et la Perse occidentale ne devraient plus avoir qu'un seul maître, « le sultan sauveur du monde et de la religion, Mohammed Ibn Malikshah ». Le titre porté par ce monarque seldjoukide de vingt-quatre ans est pris au pied de la lettre par les Tripolitains. Fakhr el-Moulk envoie au sultan message sur message, il en reçoit promesse sur promesse. Mais aucune armée de secours ne se manifeste.
Entre-temps, le blocus de la ville se renforce. Saint-Gilles a été remplacé par un de ses cousins, « al-Cerdani », le comte de Cerdagne, qui accentue sa pression sur les assiégés. Les vivres arrivent de plus en plus difficilement par voie de terre. Les prix des denrées augmentent à une allure vertigineuse : une livre de dattes est vendue à un dinar d'or, une pièce qui assure habituellement la subsistance d'une famille entière pendant plusieurs semaines. Beaucoup de citadins cherchent à émigrer vers Tyr, Homs ou Damas. La disette provoque des trahisons. Des notables tripolitains vont trouver un jour al-Cerdani et, pour obtenir ses faveurs, lui indiquent les moyens par lesquels la ville parvient encore à obtenir quelques provisions. Fakhr el-Moulk offre alors à son adversaire une somme fabuleuse pour qu'il lui livre les traîtres. Mais le comte refuse. Et le lendemain matin on retrouve les notables égorgés à l'intérieur même du camp ennemi.
Malgré cet exploit, la situation de Tripoli continue à se détériorer. Les secours se font toujours attendre, et des rumeurs persistantes circulent sur l'approche d'une flotte franque. En désespoir de cause, Fakhr el-Moulk décide d'aller lui-même plaider sa cause à Baghdad auprès du sultan Mohammed et du calife al-Mous-tazhir-billah. L'un de ses cousins est chargé, en son absence, d'assurer l'intérim du gouvernement et ses troupes obtiennent six mois de solde à l'avance. Il s'est préparé une importante escorte de cinq cents cavaliers et fantassins, avec de nombreux serviteurs portant des cadeaux de toutes sortes : des épées ciselées, des pursang, des robes d'honneur brodées, ainsi que des objets d'orfèvrerie, la spécialité de Tripoli. C'est donc vers la fin mars 1108 qu'il quitte sa ville avec son long cortège. Il sortit de Tripoli par voie de terre , précise sans ambiguïté Ibn al-Qalanissi, le seul chroniqueur qui ait vécu ces événements, laissant entendre que le cadi aurait obtenu des Franj l'autorisation de passer à travers leurs lignes pour aller prêcher contre eux la guerre sainte! Etant donné les curieux rapports qui existent entre assiégeants et assiégés, on ne peut l'exclure. Mais il-semble plus plausible que le cadi ait gagné Beyrouth par bateau et qu'alors seulement il ait pris la route.
Quoi qu'il en soit, Fakhr el-Moulk s'arrête d'abord à Damas. Le maître de Tripoli avait une aversion marquée pour Doukak, mais l'incapable roi seldjoukide est mort, sans doute empoisonné, quelque temps auparavant, et la cité est désormais aux mains de son tuteur, l’atabek Toghtekin, un ancien esclave boiteux dont les rapports ambigus avec les Franj vont dominer la scène politique syrienne pendant plus de vingt ans. Ambitieux, rusé, sans scrupules, ce militaire turc est, comme Fakhr el-Moulk lui-même, un homme mûr et réaliste. Rompant avec les attitudes vindicatives de Doukak, il accueille le maître de Tripoli avec chaleur, organise un grand banquet en son honneur et l'invite même à son hammam particulier. Le cadi apprécie ces attentions, mais il préfère loger à l'extérieur des murs - la confiance a des limites!
A Baghdad, la réception est encore plus somptueuse. Le cadi est traité comme un puissant monarque tant le prestige de Tripoli est grand dans le monde musulman. C'est sa propre barque que le sultan Mohammed lui envoie pour lui faire traverser le Tigre. Les responsables du protocole conduisent le maître de Tripoli vers un salon flottant au bout duquel a été placé le grand coussin brodé sur lequel s'assied habituellement le sultan. Fakhr el-Moulk s'est
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