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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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afin que les livres « impies » soient détruits. Selon le chroniqueur de Damas, les Franj décidèrent que le tiers de la ville irait aux Génois, les deux autres tiers au fils de Saint-Gilles. On mit à part pour le roi Baudouin tout ce qui lui plut . De fait la plupart des habitants sont vendus comme esclaves, les autres dépouillés de leurs biens et expulsés. Beaucoup iront vers le port de Tyr. Fakhr el-Moulk terminera sa vie dans les environs de Damas.
    Et la flotte égyptienne? Elle arriva à Tyr huit jours après la chute de Tripoli, relate Ibn al-Qalanissi, quand tout était fini, en raison de la sanction divine qui avait frappé ses habitants .
    Les Franj ont choisi pour seconde proie Beyrouth. Adossée à la montagne libanaise, la cité est entourée de forêts de pins, notamment dans les faubourgs de Mazraat-al-Arab et Ras-el-Nabeh, où les envahisseurs vont trouver le bois nécessaire à la construction de leurs machines de siège. Beyrouth n'approche en rien la splendeur de Tripoli, et ses modestes villas peuvent difficilement se comparer aux palais romains dont les vestiges en marbre parsèment encore alors le sol de l'antique Berytus. Mais c'est néanmoins une ville relativement prospère grâce à son port, situé sur la corniche où, selon la tradition, saint Georges a terrassé le dragon. Convoitée par les Damascains, négligemment tenue par les Egyptiens , c'est finalement avec ses propres moyens qu'elle affronte les Franj à partir de février 1110. Ses cinq mille habitants vont se battre avec l'énergie du désespoir, détruisant l'une après l'autre les tours de bois des assiégeants. Ni auparavant ni par la suite, les Franj ne virent une bataille plus rude que celle-là! s'exclame Ibn al-Qalanissi. Les envahisseurs ne le pardonneront pas. Quand la ville est prise, le 13 mai, ils se livrent à un massacre aveugle. Pour l'exemple.
    On retient la leçon. L'été suivant, un certain roi franc (peut-on reprocher au chroniqueur de Damas de n'avoir pas reconnu Sigurd, souverain de la lointaine Norvège ?) arriva par mer avec plus de soixante vaisseaux chargés de combattants pour accomplir son pèlerinage et mener la guerre en pays-d'islam. Comme il se dirigeait vers Jérusalem, Baudouin vint à sa rencontre, et ils mirent ensemble le siège, par terre et par mer, devant le port de Saïda , l'antique Sidon des Phéniciens. Sa muraille, plus d'une fois détruite et reconstruite à travers l'histoire, demeure aujourd'hui encore impressionnante avec ses énormes blocs de pierre constamment fouettés par la Méditerranée. Mais ses habitants, qui avaient fait preuve d'un grand courage au début de l'invasion-franque, n'ont plus le cœur à se battre car, selon Ibn al-Qalanissi, ils redoutaient le sort de Beyrouth. Ils envoyèrent donc aux Franj leur cadi avec une délégation de notables pour demander à Baudouin la vie sauve. Il accéda à leur demande . La cité capitula le 4 décembre 1110. Cette fois, il n'y aura pas de massacre, mais un exode massif vers Tyr et Damas, qui regorgent déjà de réfugiés.
    En l'espace de dix-sept mois, Tripoli, Beyrouth et Saïda, trois des villes les plus renommées du monde arabe, ont été prises et saccagées, leurs habitants massacrés ou déportés, leurs émirs, leurs cadis, leurs hommes de loi tués ou contraints à l'exil, leurs mosquées profanées. Quelle force peut encore empêcher les Franj d'être bientôt à Tyr, à Alep, à Damas, au Caire, à Mossoul ou - pourquoi pas? - à Baghdad? La volonté de résister existe-t-elle encore? Chez les dirigeants musulmans, sans doute pas. Mais parmi la population des villes les plus menacées, la guerre sainte menée sans relâche au cours des treize dernières années par les pèlerins-combattants d'Occident commence à produire ses effets : le jihad, qui n'était plus depuis longtemps qu'un slogan servant à orner les discours officiels, refait son apparition. Il est à nouveau prôné par quelques groupes de réfugiés. quelques poètes, quelques hommes de religion.
    C'est précisément l'un d'eux, Abou-l-Fadl Inb al-Kha-chab, un cadi d’Alep à la petite taille et au verbe haut, qui, par sa ténacité et sa force de caractère, se décide à réveiller le géant endormi qu'est devenu le monde arabe. Son premier acte populaire est de renouveler, à douze ans d'intervalle, le scandale qu'avait provoqué autrefois al-Harawi dans les rues de Baghdad. Cette fois, ce sera une véritable émeute.

CHAPITRE V 
UN

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