Les croisades vues par les arabes
installé sur le côté, à la place des visiteurs, mais les dignitaires se précipitent et le saisissent par les deux bras : le monarque a personnellement insisté pour que son hôte prenne place sur son propre coussin. Reçu de palais en palais, le cadi est interrogé par le sultan, le calife et leurs collaborateurs sur le siège de la ville, tandis que tout Baghdad loue sa bravoure dans le jihad contre les Franj.
Mais, lorsque l'on en arrive aux affaires politiques et que Fakhr el-Moulk demande à Mohammed de dépêcher une armée pour dégager Tripoli, le sultan , rapporte malicieusement Ibn al-Qalanissi, ordonna à quelques-uns des principaux émirs de partir avec Fakhr el-Moulk pour l'aider à repousser ceux qui assiègent sa ville; il donna mission au corps expéditionnaire de s'arrêter un peu à Mossoul pour l'arracher aux mains de Jawali et, dès que ce serait fait, de se rendre à Tripoli .
Fakhr el-Moulk est atterré. La situation à Mossoul est si embrouillée qu'il faudrait des années pour la régler. Mais surtout la ville est située au nord de Baghdad alors que Tripoli se trouve tout à fait à l'ouest. Si l'armée fait un tel détour, elle n'arrivera jamais à temps pour sauver sa capitale. Celle-ci peut tomber d'un jour à l'autre, insiste-t-il. Mais le sultan ne veut rien comprendre. Les intérêts de l'empire seldjoukide exigent de donner la priorité au problème de Mossoul. Le cadi a beau tout tenter, comme d'acheter à prix d'or quelques conseillers du monarque, c'est en vain : l'armée ira d'abord à Mossoul. Quand, au bout de quatre mois, Fakhr el-Moulk prend le chemin du retour, c'est sans aucun cérémonial. Il est désormais convaincu qu'il ne pourra plus garder sa ville. Ce qu'il ne sait pas encore, c'est qu'il l'a déjà perdue.
Dès son arrivée devant Damas, en août 1108, on lui annonce la triste nouvelle. Démoralisés par sa trop longue absence, les notables de Tripoli ont décidé de confier la ville au maître de l'Egypte, qui a promis de la défendre contre les Franj. Al-Afdal a envoyé des vaisseaux de vivres ainsi qu'un gouverneur qui a pris en main les affaires de la cité avec pour première mission de s'emparer de la famille de Fakhr el-Moulk, de ses partisans, de son trésor, de ses meubles et de ses effets personnels, et de convoyer le tout par bateau vers l'Egypte!
Pendant que le vizir s'acharne ainsi sur l'infortuné cadi, les Franj préparent l'assaut final contre Tripoli. Leurs chefs sont arrivés l'un après l'autre sous les murs de la ville assiégée. Il y a le roi Baudouin de Jérusalem, leur maître à tous. Il y a Baudouin d’Edesse, et Tancrède d'Antioche, qui se sont réconciliés pour l'occasion. Il y a aussi deux membres de la famille de Saint-Gilles, al-Cerdani et le propre fils du comte défunt, celui que les chroniqueurs appellent Ibn Saint-Gilles, et qui vient d'arriver de son pays avec des dizaines de vaisseaux génois. Tous deux convoitent Tripoli, mais le roi de Jérusalcm les obligera à faire taire leurs querelles. Et Ibn Saint-Gilles attendra la fin de la bataille pour faire assassiner son rival.
En mars 1109, tout semble en place pour une attaque concertée par terre et par mer. Les Tripolitains observent ces préparatifs avec effroi, mais ils ne perdent pas espoir. Al-Afdal ne leur a-t-il pas promis d'envoyer une flotte plus puissante que toutes celles qu'ils avaient vues jusqu'ici, avec suffisamment de vivres, de combattants et de matériel de guerre pour tenir un an?
Les Tripolitains ne doutent pas que les vaisseaux génois s'enfuiront dès que la flotte fatimide sera en vue. Encore faut-il qu'elle arrive à temps!
Au début de l'été, dit Ibn al-Qalanissi, les Franj se mirent à attaquer Tripoli avec toutes leurs forces, poussant leurs tours mobiles vers les murailles. Quand les gens de la ville virent quels violents assauts ils devaient affronter, ils perdirent courage, car ils comprirent que leur perte était inévitable. Les denrées étaient épuisées, et la flotte égyptienne tardait à arriver. Les vents restaient contraires selon la volonté de Dieu qui décide de l'accomplissement des choses. Les Franj redoublèrent d'efforts et prirent la ville de haute lutte , le 12 juillet 1109. Après deux mille jours de résistance, la cité de l'orfèvrerie et des bibliothèques, des marins intrépides et des cadis lettrés est saccagée par les guerriers d'Occident. Les cent mille volumes de Dar-el-Ilm sont pillés puis incendiés
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