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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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RÉSISTANT ENTURBANNE
    Le vendredi 17 février llll, le cadi lbn al-Khachab fait irruption dans la mosquée du sultan, à Baghdad, en compagnie d'un important groupe d’Alépins, parmi lesquels un chérif hachémite, descendant du Prophète, des ascètes soufis, des imams, des marchands.
Ils forcèrent le prédicateur à descendre de la chaire, qu'ils brisèrent, dit lbn al-Oalanissi, et ils se mirent à crier, à pleurer sur les malheurs que subissait l'islam à cause des Franj qui tuaient les hommes et asservissaient les femmes et les enfants. Comme ils empêchaient les croyants de prier. les responsables présents leur firent, au nom du sultan, des promesses pour les apaiser : on enverrait des armées pour défendre l'islam contre les Franj et tous les infidèles.
    Mais ces bonnes paroles ne suffisent pas à calmer les révoltés. Le vendredi suivant, ils recommencent leur manifestation, cette fois à la mosquée du calife. Quand les gardes tentent de leur barrer la route, ils les renversent brutalement, brisent la chaire en bois, ornée d'arabesques et de versets coraniques, et profèrent des insultes à l'encontre du prince des croyants lui-même. Baghdad vit dans la plus grande confusion.
Au même moment, relate le chroniqueur de Damas sur un ton faussement naif, la princesse, sœur du sultan Mohammed et épouse du calife, arrivait à Baghdad venant d'Ispahan en un magnifique équipage : pierres précieuses, vêtements somptueux, harnachements et bêtes de trait de toutes sortes, serviteurs, esclaves des deux sexes, suivantes, et tant de choses qui défiaient l'estimation et le dénombrement. Son arrivée coïncida avec les scènes ci-dessus décrites. La joie et la sécurité de ce retour princier en furent troublées. Le calife al-Moustazhir-billah s'en montra fort mécontent. Il voulut poursuivre les auteurs de l'incident pour leur infliger une sévère punition. Mais le sultan l'en empêcha, excusa l'action de ces gens et ordonna aux émirs et aux chefs militaires de retourner dans leurs provinces pour se préparer au jihad contre les infidèles, ennemis de Dieu.
    Si le bon al-Moustazhir a été pris ainsi de colère, ce n'est pas seulement en raison du désagrément causé à sa jeune épouse, mais pour ce terrible slogan qui a été scandé à tue-tête dans les rues de sa capitale : « Le roi des Roum est plus musulman que le prince des croyants! » Car il sait qu'il ne s'agit pas d'une accusation gratuite mais que les manifestants, menés par Ibn al-Khachab, ont fait, par ces déclarations, allusion au message reçu quelques semaines auparavant par le diwan du calife. Il venait de l'empereur Alexis Comnène et demandait instamment aux musulmans de s'unir aux Roum pour lutter contre les Franj et les expulser de nos contrées .
    Paradoxalement, si le puissant maître de Constantinople et le petit cadi d'Alep effectuent d'un commun accord leurs démarches à Baghdad, c'est qu'ils se sentent humiliés par le même Tancrède. Le « grand émir » franc a, en effet, éconduit avec insolence des ambassadeurs byzantins venus lui rappeler que les chevaliers d'Occident avaient fait le serment de remettre Antioche au basileus et que, treize ans après la chute de la ville, ils n'ont toujours pas tenu promesse. Quant aux Alépins, Tancrède leur a dernièrement imposé un traité particulièrement déshonorant : ils devront lui payer un tribut annuel de vingt mille dinars, lui livrer deux importantes forteresses dans le voisinage immédiat de leur ville et lui offrir, en signe d'allégeance, leurs dix plus beaux chevaux. Toujours aussi timoré, le roi Redwan n'a pas osé refuser. Mais depuis que les termes du traité sont connus sa capitale est en effervescence. 
    Aux heures critiques de leur histoire, les Alépins ont de tout temps coutume de se rassembler en petits groupes pour discuter avec animation des dangers qui les guettent. Les notables se réunissent souvent dans la grande mosquée, assis en tailleur sur les tapis rouges ou dans la cour, à l'ombre du minaret qui domine les maisons ocre de la ville. Les commerçants se retrouvent dans la journée le long de l'ancienne avenue à colonnades construite par les Romains et qui traverse Alep d'ouest en est, de la porte d'Antioche au quartier interdit de la Citadelle où réside le ténébreux Redwan. Cette artère centrale est depuis longtemps fermée à la circulation des chars et des cortèges. La-chaussée a été envahie par des centaines d'échoppes où

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