Les croisades vues par les arabes
reconnaître l'autorité de l'atabek. Son insoumission pouvant menacer impunément les communications entre les deux capitales, Zinki, en juin 1146, vient mettre le siège devant Jaabar. Il espère s'en emparer en quelques jours, mais l'entreprise s'avère plus difficile que prévu. Trois longs mois passent sans que la résistance des assiégés faiblisse.
Une nuit de septembre, l'atabek s'endort après avoir ingurgité une grande quantité d'alcool. Soudain, un bruit dans sa tente le réveille. Ouvrant les yeux, il aperçoit l'un de ses eunuques, un certain Yarankach, d'origine franque, qui boit du vin dans son propre gobelet, ce qui déchaîne la fureur de l'atabek qui jure de le punir sévèrement le lendemain. Craignant les foudres de son maître, Yarankach attend qu'il se rendorme, le crible de coups de poignard et s'enfuit vers Jaabar où on le couvre de cadeaux.
Zinki ne meurt pas sur le coup. Pendant qu'il gît à demi inconscient, l'un de ses proches entre dans sa tente. Ibn al-Athir rapportera son témoignage :
En me voyant, l'atabek pensa que je venais l'achever et, d'un geste du doigt, me demanda grâce. Moi, d'émotion, je tombai à genoux et lui dis : « Maître, qui t'a fait cela? » Mais il ne put me répondre et rendit l'âme, Dieu lui fasse miséricorde!
La mort tragique de Zinki, survenant peu après son triomphe, impressionnera les contemporains. Ibn al-Qalanissi commente l'événement en vers :
Le matin le montra étendu sur sa couche, là où son eunuque l'avait égorge,
Et pourtant il dormait au milieu d'une armée fière, entouré de ses braves et de leurs sabres,
Il périt sans que lui servent richesses ni puissance, Ses trésors sont devenus la proie des autres, ils ont été dépecés par ses fils et ses adversaires,
A sa disparition, ses ennemis se sont dressés, tenant l'épée qu'ils n'osaient brandir quand il était là.
De fait, dès la mort de Zinki, c'est la curée. Ses soldats, naguère si disciplinés, se transforment en une horde de pillards incontrôlables. Son trésor, ses armes et même ses effets personnels disparaissent en un clin d'œil. Puis son armée commence à se disperser. L'un après l'autre, les émirs rassemblent leurs hommes et s'empressent d'aller occuper quelque forteresse où attendre, en sécurité, la suite des événements.
Quand Moinuddin Ounar apprend la mort de son adversaire, il quitte immédiatement Damas à la tête de ses troupes et s'empare de Baalbek, rétablissant en quelques semaines sa suzeraineté sur l'ensemble de la Syrie centrale. Raymond d'Antioche, renouant avec une tradition qui semblait oubliée, lance un raid jusque sous les murs d'Alep. Jocelin intrigue de plus belle pour reprendre Edesse.
L'épopée du puissant Etat fondé par Zinki semble achevée. En réalité, elle vient tout juste de commencer.
QUATRIÈME PARTIE
LA VICTOIRE (1146-1187)
Mon Dieu, donne Ia victoire à l'islam et non à Mahmoud. Qui est le chien Mahmoud pour mériter la victoire?
Noureddin MAHMOUD, unificateur de l’Orient arabe (1117-1174).
CHAPITRE VIII
LE SAINT ROI NOUREDDIN
Alors que la confusion règne dans le camp de Zinki, un seul homme demeure imperturbable. Il a vingt-neuf ans, la taille haute, le teint foncé, le visage rasé sauf au menton, le front large, le regard doux et serein. Il s'approche du corps encore tiède de l'atabek, lui prend la main en tremblant, lui retire sa chevalière, symbole du pouvoir, et la glisse à son propre doigt. Il se nomme Nouréddin. C'est le second fils de Zinki.
J'ai lu les vies des souverains des temps passés, et je n'y ai trouvé aucun homme, sauf parmi les premiers califes, qui fût aussi vertueux et aussi juste que Noureddin . Ibn al-Athir, avec raison, vouera à ce prince un véritable culte. Si le fils de Zinki a hérité des qualités de son père - l'austérité‘, le courage, le sens de l’Etat - il n'a conservé aucun de ces défauts qui ont rendu l'atabek si odieux a certains de ses contemporains. Alors que Zinki effrayait par sa truculence et son absence totale de scrupules, Noureddin parvient, dès son arrivée sur scène, à donner de lui-même l'image d'un homme pieux, réservé, juste, respectueux de la parole donnée et totalement dévoué au jihad contre les ennemis de l'islam.
Plus important encore, car c'est là son génie, il va ériger ses vertus en arme politique redoutable. Comprenant, en ce milieu du xii° siècle, le rôle irremplaçable que peut jouer la
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