Les Dames du Graal
se demandait par quel miracle on avait pu les tailler. Perceval dépassa les croix et regarda encore la colonne. Un anneau s’y trouvait fixé, mais le Gallois n’aurait su dire s’il était d’or ou d’argent. Une bande d’argent très fin l’entourait, qui portait une inscription. Il s’approcha pour la déchiffrer et lut que nul chevalier, à moins de pouvoir s’égaler au meilleur chevalier du monde, ne devait attacher son cheval à l’anneau » (trad. J. Markale).
Bien entendu, Perceval, qui ne doute de rien, attache son cheval à l’anneau. Et il ne se passe rien. Ou plutôt, il se passe quelque chose qu’il n’avait pas prévu : une femme surgit, montée sur une jument blanche, et s’arrête devant lui. Elle met pied à terre et enlève son manteau, « se révélant seulement vêtue d’une robe de soie légère à travers laquelle se devinait chacun des contours de son corps ». La femme ne dit pas un mot, mais s’approche du cheval et lui prodigue d’abondantes manifestations d’amitié. Cela choque Perceval, qui demande à la femme de laisser son cheval tranquille. Alors, la femme répond : « Tous ceux qui vivent sur cette terre devraient honorer ton destrier ainsi que ton corps, et s’incliner devant eux plus bas qu’on ne le fait dans une église devant un autel. Car m’est avis qu’on n’eût pu trouver en ce monde mortel chevalier plus digne que toi d’escalader cette montagne. Tu as attaché ton cheval à l’anneau fiché sur la colonne : tu peux te vanter d’avoir accompli en ce jour ce que jamais chevalier ne fit sans être châtié » (trad. J. Markale). Puis elle invite Perceval dans son pavillon, sur l’autre versant de la colline.
Une fois chez la jeune femme, où il est reçu avec de grands égards, celle-ci lui révèle qu’on la connaît sous le nom de Demoiselle de la Cime , et qu’elle est la gardienne de la Colonne de Cuivre. Piqué par la curiosité, Perceval lui demande des explications sur cette colonne dont il n’a évidemment pas compris la fonction. La Demoiselle de la Cime lui raconte alors « une histoire qui n’est pas de ce temps » et qui est pourtant la sienne. Au temps du roi Uther Pendragon, une jeune fille qui était prophétesse vint trouver le roi et lui dit : « Je sais que tu as un fils, tu ne le connais même pas, mais je puis te dire qu’on le prisera plus encore que tous les empereurs qui ont vécu jusqu’à présent. » Il s’agit bien entendu d’Arthur. Mais Uther, qui n’a aucune confiance dans les paroles de la prophétesse, fait appeler Merlin. Et Merlin confirme ce qu’elle vient de dire. Alors, Uther, un peu ulcéré parce qu’il se croit lui-même un chevalier qu’on ne peut surpasser, met au défi Merlin de trouver un moyen grâce auquel « se pourrait reconnaître le meilleur chevalier qui fût au monde ». Merlin demande un délai de quinze jours, pendant lesquels il se retire dans son ermitage, puis il revient annoncer à Uther qu’il a la solution. Il ne reste plus qu’à trouver l’endroit où cette épreuve doit avoir lieu. Ayant eu le « feu vert » du roi, Merlin se lance donc à la recherche d’un endroit propice. Dans cette quête, il est accompagné par la jeune prophétesse.
Merlin découvre l’endroit idéal pour y établir l’épreuve. Mais ce qui devait arriver arrive : « Sache que Merlin devint amoureux de la prophétesse et en fit selon sa volonté. Ainsi devint-elle ma mère. » C’est ainsi que l’hôtesse de Perceval lui dévoile qu’elle est la fille de Merlin. Elle ajoute que l’Enchanteur fit surgir de terre, pour sa mère, un beau manoir dans la vallée. « La magie de Merlin m’a pourvue de tout ce que je désire, et je puis, comme ma mère et comme lui, prédire le destin des gens. Mais je ne le fais que lorsque vient à moi quelqu’un digne d’être aidé. »
Aucun autre texte concernant la vie légendaire de Merlin ne fait allusion à la moindre descendance naturelle de Merlin. Dans la Vita Merlini , Geoffroy de Monmouth lui attribue une épouse mais ne lui signale pas d’enfant. Dans le Merlin de Robert de Boron, s’il est amoureux de Viviane, il n’a en fait aucun rapport charnel avec elle. Dans la version dite de Gautier Map, il est heureux avec Viviane dans sa fameuse tour d’air invisible, mais il n’est nullement question de la moindre progéniture. Certes, Merlin a des disciples : dans la Vita Merlini , c’est sa sœur Ganieda, autrement
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