Les Dames du Graal
rapports avec Anfortas sont assez troubles, suffisamment pour qu’on puisse penser que la « femme indigne », responsable de la blessure du Roi Pêcheur, était Kundry, alors complice de l’infâme Klingsor, donc sorcière et savante dans les arts de magie. Et Wagner va d’ailleurs plus loin : il suggère que Kundry est maintenant amoureuse de Parsifal, tout en mettant l’accent sur la chasteté de celui-ci. Il est vrai que tout le texte de Parsifal , écrit par Wagner lui-même, est une justification de la chasteté, considérée comme le seul moyen de parvenir au divin {75} , et aussi, c’est bien regrettable, un hymne assez délirant à la pureté de la race que s’efforcent de maintenir les Templiers, gardiens du Graal {76} .
Cependant, dans le récit de Wolfram, lorsqu’elle réapparaît au bout de longues années à la cour d’Arthur, Kundry n’a rien perdu de sa laideur. Par contre, elle a abandonné sa mule pour un équipage luxueux qui est marqué par l’emblème du Graal. C’est la preuve que cet épisode n’existait pas dans l’archétype utilisé par Chrétien et les autres conteurs du Graal. Est-ce une invention de Wolfram ou bien est-il allé chercher cette scène dans un texte perdu qui ne peut en aucun cas être d’origine celtique ? Ces questions demeurent sans réponses.
Pendant ces longues années, Perceval a eu le temps d’épouser la belle Condwiramur – que Chrétien appelle Blanchefleur –, mais il l’a quittée pour courir l’aventure. C’est ainsi qu’il a retrouvé son demi-frère Fairefiz (= Vair Fils, c’est-à-dire « Fils gris »), fils de son père et d’une musulmane, et qui est toujours « païen ». Il l’a emmené à la cour d’Arthur où se déroulent de grandes joutes. C’est alors qu’on vit arriver « une demoiselle dont les habits splendides, coûteux et bien faits étaient taillés à la mode française. Son manteau était fait d’un riche samit plus noir encore qu’un cheval d’Espagne. On y voyait briller l’or d’Arabie dont étaient faites maintes petites tourterelles, l’emblème du Graal… Sa coiffe était haute et blanche, son visage caché par maints voiles épais qui empêchaient de le voir » ( Parzival , trad. Spiewok-Pastré). Après avoir salué l’assemblée, elle va s’incliner devant Parzival et, « de ses deux mains, elle défit les voiles qu’il y avait autour de sa tête : coiffe et rubans, elle enleva tout et les jeta dans le cercle. On reconnut aussitôt Kundry la Sorcière, et on regarda tant et plus les armes du Graal qu’elle portait » ( ibid. ).
Elle délivre alors au héros le message dont elle est chargée. « Reste modeste, mais sois joyeux ! Heureux le haut destin qui t’échoit, toi qui es couronne de l’humaine félicité ! On a lu sur la pierre que tu es appelé à devenir le maître du Graal » ( ibid. ) Dans nulle autre version de la Quête il n’est fait la moindre allusion à une inscription qui apparaîtrait sur le Graal pour désigner non seulement ceux qui ont la charge de sa garde, les Templiers, mais celui qui est choisi (par Dieu lui-même ?) pour être le Roi du Graal. À chaque fois, le héros, pour devenir Roi du Graal, doit satisfaire à de nombreuses épreuves et surtout trouver lui-même le chemin qui mène à la demeure du Roi Pêcheur . Tout le sens de la Quête est remis en question dans le texte de Wolfram. À vrai dire, cette quête n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était à l’origine. C’est autre chose, issue d’un mélange assez étonnant de motifs celtiques, d’idéologie germanique, de traditions orientales mal digérées et de vagues notions empruntées à l’Alchimie et aux sciences dites secrètes. D’ailleurs, Kundry se lance ensuite dans un long discours où elle fait preuve de ses connaissances en astrologie ou en astronomie (c’est la même chose à l’époque) et nomme sept étoiles en langue arabe, prétendant que ces étoiles sont « les rênes du firmament et retiennent sa course rapide ».
Et c’est ainsi que Kundry la Sorcière emmène Parzival à Montsalvage, dont il aurait été bien incapable, sans elle, de retrouver le chemin. Là, Parzival guérit son oncle Anfortas en lui posant simplement la question : « Mon oncle, de quoi souffres-tu ? {77} » Et il est sacré Roi du Graal.
Tel est le rôle de la hideuse Demoiselle à la Mule : conduire le héros au terme de son destin. Mais il y a loin entre ce personnage
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