Les Dames du Graal
revu et corrigé et l’archétype ancien qui est celui de l’initiatrice, de celle qui ne montre pas mais qui enseigne . Wolfram von Eschenbach a rationalisé le mythe et il l’a réduit à une affaire de psychologie appliquée. Il semble que la hideuse Demoiselle à la Mule, telle qu’elle apparaît chez Chrétien de Troyes et dans le récit anonyme gallois, est d’une tout autre dimension. Elle est dans la lignée d’un Merlin qui éclate de rire chaque fois qu’on lui pose une question et qui se dérobe chaque fois qu’on cherche à le rejoindre. La Kundry de Wolfram n’est plus une fée qui surgit brusquement de la profondeur des bois, ce n’est qu’une sorcière au service du Roi Pêcheur et qui s’acquitte de sa tâche comme le fait un bon fonctionnaire. Il est heureux que Richard Wagner, en la chargeant d’ambiguïtés, en ait fait l’image d’une femme dont le cœur, comme le dit un proverbe breton, « est plus profond que la plus profonde des mers ».
CHAPITRE IX
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Les Femmes de Gauvain
Si on se penche sur tous les récits arthuriens en s’attachant exclusivement au personnage de Gauvain, neveu préféré du roi Arthur, on est tenté de dire que c’est un « homme à femmes ». Dans les innombrables prouesses qui lui sont prêtées, il accumule en effet les aventures amoureuses, le plus souvent sans lendemain, comme s’il voulait se prouver à lui-même, tel Don Juan, qu’il pouvait se faire aimer de n’importe quelle femme. Ce jugement hâtif et quelque peu injuste contient une certaine part de vérité. Gauvain est en effet une sorte de « bourreau des cœurs » qui draine autour de lui un essaim de dames et de pucelles dont on pourrait dire qu’elles sont « en chaleur ». Cela ne lui facilite pas la vie, d’ailleurs, car il n’est jamais assuré de retenir l’attention d’une de ces femmes, et bien souvent, c’est lui qui est obligé de faire les premiers pas, quitte à se faire rabrouer et même à être contraint de s’enfuir pour échapper à la vindicte d’un père outragé ou d’un mari trompé.
Gauvain est cependant un personnage considérable de l’épopée du Graal. Il est le fils de la demi-sœur d’Arthur, Anna, ou Morgause – qui sera la mère de Mordret –, fille d’Ygerne et du duc de Cornouailles, comme Morgane, et épouse du roi Loth d’Orcanie. Or, selon une coutume celtique bien établie de la filiation matrinéaire, il est, en tant que fils de la sœur, considéré comme l’héritier présomptif de son oncle le roi Arthur. Le nom de Gauvain, qui est une forme française ( Gawain en anglais, Gawan en allemand, Galvanus ou Walvanus en latin), provient d’un ancien celtique qui a donné Gwalchmai en gallois. Et Gwalchmai est facile à interpréter : il est composé de deux termes bien repérables et signifie « faucon de mai », ce qui est conforme à la fonction du personnage : c’est en effet le chevalier d’Arthur qui se dévoue le plus, ou qui est sollicité le plus, pour accomplir une prouesse et ramener des prisonniers. Au fond, Gauvain est un oiseau de proie qu’on lâche sur le gibier, mais qui ne revient jamais sans avoir terminé la mission qu’on lui a confiée.
C’est dans un curieux récit épisodique en latin du début du X e siècle, De Ortu Walvani , qu’on peut traduire par « les Enfances de Gauvain », qu’il lui arrive ses premières aventures amoureuses. Le neveu d’Arthur, qui vient de quitter le château de son père, erre dans la forêt et rencontre un homme qui l’invite chez lui. Mais au lieu d’accompagner Gauvain, l’homme lui dit qu’il doit aller en avant pour ordonner que tout soit préparé pour son hôte. Gauvain continue seul sa route et des bergers l’avertissent que le seigneur qui vient de l’inviter « met à mort tous ceux qui le contredisent. Il en a emmené ainsi beaucoup d’autres devant nous, mais nous savons qu’aucun de ceux-ci n’est revenu ».
Il en faut plus pour faire reculer le brave Gauvain. Le voici dans le château où le seigneur le reçoit avec empressement et courtoisie. Celui-ci lui dit : « Si quelque chose te déplaît ou te contrarie, n’hésite pas à le dire. » Gauvain, qui est sur ses gardes, répond prudemment que tout est parfait. Alors son hôte lui présente sa fille, qui est de grande beauté, et dont Gauvain devient immédiatement amoureux. « Seigneur, lui dit encore son hôte, j’espère que ma fille ne te déplaît pas, car je
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