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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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décrochait son récepteur comme on fait feu d’un obusier, en se répétant, du même ton que l’on se jure de vaincre ou mourir : « Devoir, Efficience, Rapidité. Mon Dieu ! je suis rompu. Mais c’est la guerre, je fais la guerre ». Au bout du compte, il avait donné ou rendu dix visites superflues, manqué plusieurs démarches trop improvisées, amorcé autant de conversations inachevées, alerté Salonique, Tunis et Modane pour un renseignement que le 2 e  Bureau possédait depuis un mois, rédigé à neuf heures du matin cinq lignes d’une note urgente pour reprendre son porte-plume à quatre heures de l’après-midi, rouvert on ne savait plus combien de fois le même dossier à la première page.
    Rien ne peut être plus funeste, dans une organisation militaire, que ces agités qui s’imaginent de la meilleure foi du monde avoir fait métier de chef quand ils ont crié de très haut : « Exécution, au trot ! » à un subalterne qui ne sait ni la fin ni les moyens de sa mission. L’éducation de Saint-Cyr, des grandes écoles, les principes ossifiés du commandement ont multiplié chez nous ces types d’hurluberlus à plastron d’acier. Le néant sonore des œuvres de l’armée n’a que trop favorisé leurs illusions d’activité. Elles ne pouvaient y trouver aucun correctif.
    Pour les satellites d’un pareil brouille-tout, l’unique ressource était de se réfugier philosophiquement, comme l’excellent commandant B…, dans des grosses de notariat. Quant au sous-lieutenant G… et à moi-même, nous étions dans l’orbite du météore, entraînés sans espoir dans ses tourbillonnantes révolutions.
    Notre bureau était un carrefour très fréquenté. J’y voyais passer et repasser continuellement les vedettes du S. R. aux galons multiples et variables. J’ai pu mettre là dans mon oreille le plus beau répertoire d’intonations militaires, martiale brièveté, altiers et obscurs grognements de la hiérarchie supérieure, voix de coqs, voix en mitrailleuse, en coup de talon, en coup de cravache. Les réservistes se distinguaient par une onction châtiée. Le 5 e   Bureau, résolument réactionnaire, avait mobilisé, dans le faubourg Saint-Germain, la grande finance et l’industrie lourde. Avec le S. R. des aviateurs, gîtant de l’autre côté de la cour, c’était le défilé de tout l’armorial, de tous les grands conseils d’administration. Les « honorables correspondants » (H. C.), volontaires ou amateurs non rétribués, fort distincts de la tourbe des agents à solde et dont les révélations faisaient prime, appartenaient pour la plupart au moins à une bourgeoisie confortable ou à un éminent clergé.
    Le S. R., ébloui par les relations de ces messieurs, avait ainsi recruté une volée de salonnards, de cercleux, de fils de famille, de hobereaux et d’abbés mondains. Des personnages de cette qualité ne pouvaient évidemment être confondus avec la troupe, livrés aux basses besognes de la caserne ou des lignes… Malheureusement, leurs titres aux fonctions d’un service d’espionnage demeuraient énigmatiques. On voyait se produire au naturel, dans leur nullité dorée et fringante, les rejetons des aciéries illustres qui n’avaient jamais de leur vie aperçu un four Martin, les gendres des grands magasins, les neveux des grandes assurances, les plus fins connaisseurs de haras et d’hippodromes. En grand mystère, on venait nous faire confidence des angoissantes révélations que l’on avait obtenues de la comtesse de X…, retour de la côte dalmate, pendant son dernier bridge. Le capitaine L. T…, le menton dans la main, prenait sa mine à la Fouché des grandes méditations. Mais il arrivait que les brillants barons de l’Air apprissent par Paris-Soir le nouveau raid allemand sur une ville du Nord. Pour la section économique, dont je n’ai pas besoin, je suppose, de commenter autrement le rôle capital dans une guerre semblable, on s’en était débarrassé, comme d’une sinécure comique, sur un crétin richissime, aux bajoues de puceau quadragénaire, considéré ouvertement comme le Nicodème de la maison, mais fils d’un général très catholique. C’était lui l’un des comptables officiels de ce fameux pétrole allemand que les Panzerdivisionen devaient tarir en quatre tours de moteur. Il manifestait, « chiffres en main », un optimisme affairé, grave et puissamment assis.
    On a vu comment, pendant ce temps, les

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