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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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pont.
    Mais cet héroïsme ne suffisait point à compenser le premier accident et tout ce qu’il révélait. Ces systèmes défensifs élevés à coups de milliards, universellement célèbres, étaient donc à la merci d’un éclat d’obus dans le crâne d’un gradé. Il suffisait de la mort d’un homme pour que l’ennemi les enjambât comme une rigole de jardin.
    Il apparaissait trop bien que les Belges n’avaient pu nulle part défendre leurs frontières. L’imprévu surgissait d’ailleurs de tous côtés. Le plus puissant fort de ces frontières, Eben Emael, venait d’être conquis en un tournemain par des parachutistes. Les parachutistes emportant des fortifications ! Avait-on jamais ouï parler de ça !
    Les vieux critiques militaires des journaux en étaient encore à nous décrire les préliminaires rituels et les « frottements d’avant-gardes », qu’à la colonne suivante on annonçait un formidable choc des blindés allemands et français.
    Pour réparer le fâcheux effet d’un titre avouant le « repli belge », on ne trouvait à célébrer que la rapidité des troupes de secours en marche… à travers la Belgique. Les Anglais se montraient particulièrement satisfaits de ce remarquable exploit.
    Pour la Hollande, parmi les anecdotes inouïes de parachutistes motocyclistes, de combats au beau milieu d’Amsterdam, on devinait une confusion plus que suspecte. Il semblait bien que les Allemands fussent partout à la fois.
    Le 13 mai, le quartier général hollandais proclamait que la région de Rotterdam était nettoyée et le gouvernement entièrement maître de la situation à l’intérieur du pays. Le 14 au matin, les journaux publiaient un communiqué annonçant que les Allemands atteignaient la zone inondée et que les troupes de la reine Wilhelmine, après s’être repliées, prenaient position sur leurs lignes principales. D’autre part, vers Berg-op Zoom, les troupes françaises de secours étaient au contact des Allemands. L’encre de ces communiqués était à peine sèche qu’à la fin de l’après-midi, nous apprenions au 5 e   Bureau la capitulation de l’armée hollandaise. On n’avait pas encore eu le temps de déchiffrer les premiers épisodes de la lutte qu’elle s’achevait déjà par une déconfiture. Le quadrilatère hollandais, « interdit par l’inondation » aussi longtemps qu’il ne gèlerait point, comme le disait le brave général Duval, avait tenu moins de cinq jours, si l’on pouvait parler de « tenir » pour un pays où les Allemands, dès les premières heures, avaient été les maîtres de leurs plus audacieux mouvements.
    Après Tongres, Saint-Trond. Puis Tirlemont, puis Gembloux, un bond nouveau en pleine Belgique à chaque nouveau communiqué, cent kilomètres d’avance allemande en quatre jours. Et brusquement, il ne s’agissait plus seulement de la Belgique, mais de la France : « Le combat continue, en particulier dans la région de Sedan où l’ennemi fait avec acharnement et en dépit de pertes élevées un effort très important ». Acharnement, en dépit, effort très important : vocabulaire connu, rien de flambant pour nous.
    Et la guerre, hélas ! était sur notre territoire.
    * * *
    Le 15 mai au matin, j’étais seul depuis quelques instants dans le bureau avec le commandant B…, plongé dans ses papiers, affable et peu loquace selon sa coutume. Le capitaine L. T… entra, la mine funèbre. Après nous avoir serré la main, il confia à mi-voix au commandant :
    — Ah ! ça ne marche pas. Les contre-attaques n’ont pas réussi.
    J’étais assis dossier contre dossier derrière le commandant. Je me retournai vivement, interrogeant avec avidité le capitaine du regard.
    — Oui, me dit-il. Les Allemands ont fait une grosse poche dans nos lignes, du côté de Sedan. On n’est pas arrivé encore à la réduire. Elle s’élargit même. Ils ont avancé aussi plus au nord, sur la Meuse. Il ne faut pas s’affoler, mais c’est grave.
    Une vive consternation se peignait sur l’honnête et paisible visage du commandant.
    — Je savais déjà hier soir que ça n’allait pas bien.
    J’ai quitté le bureau à 10 heures et demie. Mon Dieu ! Mon Dieu ! le nom de ce village ! (Il s’agissait sans doute de Monthermé.) Je l’ai eu devant les yeux toute la nuit.
    En un instant, je passais de la sourde inquiétude à l’extrémité de l’angoisse. On est soucieux depuis quelques jours du sort d’un être

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