Les Décombres
paroles de repentir pour le contraste au moins fâcheux entre leurs homélies désarmeuses de naguère et leurs coups de clairon de 1939, pour leur antiracisme et leur démagogie. Mais ils n’en soufflaient mot. Aucun nom de gredins authentiques ne passait non plus les lèvres de nos prédicateurs.
Dans les journaux convenables, des commentateurs rompus à ces exercices appelaient le feu du ciel sur les ondulations permanentes et les maillots de bain. Cinquante mille coiffeurs pour dames se voyaient traduits devant le tribunal de notre défaite, tandis que la déconfiture de nos chars de combat, l’absence de cartouches dans nos compagnies de première ligne étaient des accidents inexplicables du destin.
En attendant, on venait de manquer une fameuse opération. On aurait dû citer avec éclat les détachements et les régiments qui s’étaient bien battus, les couvrir de croix et de fourragères. Mais dans le même moment, il eût fallu faire condamner en cour martiale pour abandon de poste et organisation de la panique cinq mille officiers fuyards. Le peuple ne connaissait que trop bien ces coupables. Leur châtiment lui eût offert une de ces images de la justice qui bouleversent les foules mieux qu’un bulletin de victoire. Toute une part de notre désastre était expliquée, réduites à néant toutes les fables enfantines, tenaces et très écoutées des communistes sur une « cinquième colonne », allant de Daladier à Pétain. Le gouvernement faisait la conquête de la nation. Il pouvait ensuite lui imposer les plus rigides lois. Une fois par siècle peut-être, surgissait l’occasion d’un acte politique aussi retentissant, pourvu que l’on ne fût pas trop scrupuleux sur le juste et l’injuste. Au début de juillet 1940, cet acte, par surcroît, eût répondu à la plus stricte équité.
Mais il était déjà trop tard.
* * *
Autre occasion étrangement perdue : Mers-el-Kebir. Depuis un mois, j’en bouillais d’impatience. Les Anglais nous avaient fourni le plus honorable motif de rentrer dans cette partie diplomatique d’où notre déroute nous avait chassés, tous les membres brisés ou liés, de racheter quelques-unes de nos plus lourdes fautes, de nous détacher pour l’avenir immédiat de la pitoyable coalition de 1939. Nous n’en avions tiré aucun profit. M. Paul Baudouin épuisait toutes les ressources de sa politique en reproches larmoyants. Le ton rappelait les plus méprisables et vaines jérémiades du régime crevé. Le nom du dernier ministre choisi par Paul Reynaud était attaché pour jamais, en souvenir des semaines honteuses, aux dernières grimaces de la sanglante pantalonnade. Que fichait encore ce personnage parmi nous ?
On annonçait la création d’une Cour Suprême. Malheureusement, les journaux publiaient les portraits de ses magistrats, et l’on voyait des Bridoye et des Raminagrobis.
Pourtant, dans le ronronnement des ondes, il passait quelques fameuses nouvelles. Les fuyards en terre étrangère allaient être déchus de la nationalité française et leurs biens confisqués. La maçonnerie était dissoute, et les journaux rivalisaient de couplets vertueux pour dénoncer son infamie. Le Temps lui-même écrivait de son encre la plus digne « que personne en France n’ignorait le rôle malfaisant des Loges ». Il fallait croire que Le Temps nous avait diablement bien caché sa science jusque-là.
Il n’y avait pas à conclure, pour si peu, que la France était guérie et tous les couards de la presse absous. Il était même assez répugnant de voir ce troupeau se disputer à qui décocherait du bras le plus vengeur son trait empoisonné à la tarasque démocratique, gisant par terre. Mais l’intrépidité soudaine de ces foies blancs prouvait du moins que le monstre avait vraiment son compte. C’était déjà un assez beau résultat.
Par-dessus tout, Pierre Laval m’inspirait confiance. Son nom était le symbole du bon sens retrouvé.
Vers le 10 août, un matin, Véronique [ma femme] m’appela : « Viens écouter, vite. Alain Laubreaux parle à la radio ». Notre poste lançait une énergique diatribe contre les Loges. Aucun doute : c’était bien la voix familière, sa générosité, sa rondeur. Une heure plus tard, j’expédiais une lettre pour ce miraculeux « speaker ».
C’est une assez étrange et délectable sensation que d’avoir quitté, le cœur atterré, un ami traqué par la police, dont le logis vient d’être
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