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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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balnéaires, de vestons des grands tailleurs, Hollywood, Juan-les-Pins, les Champs-Élysées, tout Auteuil, tout Passy, toutes les grandes « premières » de Bernstein et de Jean Cocteau, la haute couture, la banque, la Comédie-Française, le cinéma, avec les grues les plus huppées du boulevard de la Madeleine, juchées sur leurs talons Louis XV et sur une superbe dont elles ne descendaient plus à moins de mille francs.
    Le hall de l’hôtel du Parc était, de l’aube à la nuit tombée, une volière. Une ruée toujours renouvelée de perruches en faux blond ou en faux roux, de mirliflores vernissés, de cabots, de plumitifs, d’abbés élégants et de douairières, assiégeait quatre gardes mobiles promus au rôle de majordomes, grasseyant dans leurs moustaches de gendarmes et qui se faisaient épeler trois fois le nom de M me  Cécile Sorel.
    Les gazettes locales n’arrivaient plus à tenir le compte de tant de célébrités. Leurs rubriques éblouies me rappelaient ce journal de Périgueux, lequel, aux alentours du 30 juin 1940, s’extasiait en termes fleuris sur les circonstances qui amenaient à la fois, dans le chef-lieu de la Dordogne, trois sociétaires à part entière et cinq ou six « vamps ».
    Le concours d’uniformes surtout était prodigieux. On se fût cru aux plus belles heures de la retraite automobile, vers Pontoise quand notre dernier front crevait, vers les ponts de la Loire quand tous les états-majors de Paris se disputaient le passage. Mais l’allure était autrement avantageuse. On s’était repris magnifiquement. Les bottes étincelaient, les monocles miroitaient, les sticks fendaient l’air. Saumur n’était pas plus fringant, un jour de carrousel du Cadre Noir.
    J’avais reconnu plusieurs grands personnages du Deuxième et du Cinquième Bureau. Presque tous portaient un nouveau galon sur la manche, après avoir abandonné à l’ennemi toutes leurs archives secrètes, démoli leur service pour trente ans. J’eusse vraiment approuvé qu’on les récompensât pour une œuvre aussi pie. Mais leur avancement paraissait fort étranger à cet incident. Le capitaine L. T… était maintenant commandant, plus mystérieux et affairé que jamais.
    Victoires, défaites, autant de circonstances secondaires, et d’ordre en somme civil. L’important, c’était qu’il y avait eu guerre. La guerre, c’est pour l’officier de métier l’avancement. On n’allait pas renoncer à une tradition aussi raisonnable et établie quand justement le retour aux traditions devait sauver la France.
    Les membres de l’Institut, lieutenants-colonels à l’ex-censure Frossard, les châtelains kerillistes, jadis brillants dragons et présentement ex-capitaines d’un dépôt de remonte – le cheval vaincra le char – ne pouvaient point se résigner à réintégrer la tenue bourgeoise. Ils prolongeaient à l’envi les délices de la solde de campagne et de la vareuse, qui affine si galamment les ventres quinquagénaires.
    Les « baigneurs » invétérés, les vieilles dames à triples fanons, vichyssoises d’été depuis l’autre avant-guerre, les rentiers cossus à bedons et rosettes, en avalant leurs cinquante grammes de Chomel ou de Grande Grille, contemplaient ces parades avec humeur. On n’était plus chez soi. La défaite, la défaite… Franchement, était-ce une raison pour que l’on ne vous eût pas gardé, au grill-room des Ambassadeurs, la table où vous déjeuniez depuis dix ans ?
    * * *
    Je m’étonnais devant les amis retrouvés de cette bousculade pomponnée et chamarrée. Ils riaient de ma surprise provinciale. Qu’aurais-je dit un mois plus tôt, aux environs du Congrès National ! Avec le déballage complet des parlementaires, s’était abattue sur Vichy une horde de comitards, d’agents électoraux, de journalistes marrons, de maîtres chanteurs, tous les bans et arrière-bans de la Maçonnerie, de la Ligue des Droits de l’Homme, tous les couloirs du Palais-Bourbon, tous les congrès radicaux et socialistes, les conseillers généraux, les conseillers municipaux, des « présidents » par trains entiers, des Mazarins de sous-préfecture : tout le régime. Les nuits vichyssoises avaient été peuplées de Vénérables des grandes Loges qui dormaient en rangs d’oignons à la belle étoile, sur des chaises de fer, jusqu’au plus profond du parc. D’anciens ministres de Doumergue ou de Blum s’étaient disputés férocement, dans les hôtels

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