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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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politique. Elle achevait ainsi de se révéler. Elle avait pendant trente ans prêché la révolte, mobilisé le meilleur de la jeunesse française. Mais l’unique but sérieux qu’elle eût poursuivi, c’était le rétablissement dans son omnipotence de la plus écœurante bourgeoisie.
    La presse entière, sous les coups de ciseaux d’une censure à cinquante têtes, se réfugiait dans le tartinage édifiant, nasillard et cotonneux, où ne transparaissaient plus une seule figure, un seul événement reconnaissables. Les Bailby, les Guimier, les Fernand-Laurent et consorts étaient passés en trois mois du service de l’Angleterre et des litanies pour la démocratie à l’antijudaïsme, au reniement vengeur de la République, puis à l’hagiographie du néant vichyssois. Qu’il eût été doux de siffler ces chiens pour leur dicter leur quatrième apostasie de la saison, qu’ils eussent accomplie avec le même élan !
    Seul, Gringoire, par la vigoureuse volonté d’Horace de Carbuccia, Corse subtil, animé par une anglophobie d’excellent aloi, avait pu conserver une miraculeuse indépendance.
    Henri Béraud, Philippe Henriot et une poignée de leurs amis y faisaient la meilleure besogne, se mettant du reste au ban de la corporation.
    * * *
    Depuis l’affaire de Dakar, ma décision était prise. Je voulais retravailler de mon métier, m’y rendre utile dans toute la mesure de mes forces. Il était bien superflu d’en tenter l’expérience parmi les frères lais et les sous-juifs des journaux repliés. Toutes mes pensées se tournaient vers Paris, ma ville, notre seule capitale. Elle était déjà entourée d’une légende ridicule : « Toutes les maisons neuves sont réquisitionnées. Vous habitez Neuilly ? Alors, vous n’avez aucune chance de retrouver votre appartement… Les Allemands ne veulent entendre parler que des communistes. Un gouvernement va se constituer à l’Élysée avec Thorez à sa tête. » Les premiers voyageurs de bonne foi, accueillis au retour comme les explorateurs d’une planète inconnue, s’esclaffaient heureusement à ces insanités. Dans l’atmosphère étriquée et radoteuse de Vichy, ils apportaient les images et l’odeur de la vie.
    Ils ramenaient de pleines valises de journaux parisiens, les premiers articles vibrants et inspirés d’Abel Bonnard, de Châteaubriant, poètes à cheveux blancs, tellement plus riches de vérités que nos techniciens pourris de chiffres, de jeunesse que nos petits vieillards à genoux nus et bérets catholiques. En dépit de quelques signatures inouïes –  l’[le voyou ] anarchiste Henri Jeanson attendant la Wehrmacht sous l’Arc de Triomphe – cette presse parue sous la censure de l’occupant nous représentait, il faut bien le dire, la liberté… On y pouvait parler de ce qui comptait.
    Je n’avais maintenant plus à l’hôtel du Parc d’autre tâche que de recopier des communiqués et de coller sur des morceaux de papier quelques dépêches. Encore eussé-je pu très bien me dispenser de ces besognes, et me contenter de passer à la caisse de temps en temps, comme un fonctionnaire-gendelettres au bon temps du symbolisme. Mais je ne me sentais pas cette vocation.
    * * *
    J’avais encore eu l’ingénuité de nourrir quelque espoir lors de l’agression gaulliste contre Dakar, de me demander si une telle iniquité ne finirait pas par remuer les cœurs. Mais dès les premiers coups de canon, il fallut me rendre à cette scandaleuse évidence : Vichy vibrait de joie à la pensée que les Anglais allaient s’emparer de la plus belle base de l’Atlantique africain. Déjà les stratèges déroulaient les conséquences de cette brillante manœuvre.
    Quarante-huit heures plus tard, les dépêches nous apportaient la certitude d’un échec ridicule et total pour les Britanniques. Grâce à l’énergique Boisson, à une poignée de marins et de soldats courageux, nous enregistrions enfin un beau succès, le premier depuis des années de reculades, de dégringolades, de débandade. Nous rédigions déjà pour notre poste des bulletins triomphants. Mais aussitôt une pluie d’« ukases » vint doucher notre fougue : « S’en tenir à un ton très discret. Défense d’employer le mot de victoire. » Bien stylés, les journaux, avec ensemble, titraient sur deux maigres colonnes, deux de moins que pour les nominations de ces étonnants généraux de la déroute, qui ne cessaient de grimper en grade et en pouvoir,

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