Les Décombres
prophéties de sainte-Odile, confirmées mot par mot durant toute l’année Quarante, et qui garantissaient le triomphe de nos armes pour le printemps à venir.
* * *
Avec l’approche de l’hiver, qui allait offrir un répit à l’Angleterre, le gaullisme déferlait. On allait jusqu’à professer que l’occupation complète de la Grande-Bretagne par les troupes allemandes n’aurait aucune importance, puisque l’invincible flotte de Sa Majesté George VI aurait bientôt fait d’investir l’île et d’y étouffer le vainqueur d’un jour.
Les collaborateurs de Candide proclamaient que Londres était le Verdun de cette guerre. Ce brillant journal repoussait un reportage sur Rouen de notre cher ami le bon Normand Dorsay, parce qu’il y disait, comme la vérité le veut, que toutes les églises de la vieille cité étaient intactes, épargnées méthodiquement par les artilleurs allemands. Pierre Gaxotte, notre Gaxotte de Munich {20} , passé à une anglomanie souterraine et acharnée, dirigeait avec une perfide virtuosité ces opérations.
Le sieur Jean Prouvost, plus officieux que jamais, redevenait le grand marchand de bobards de France, lançait un nouveau mastodonte, Sept Jours, confectionné à coups de dépêches judéo-américaines, de tirades héroïques sur la R. A. F. Le général Buhrer [Bâter] , le plus incapable Ramollot et le F [rère] … le plus avéré de toute l’armée demeurait le grand chef des troupes coloniales. Le vieillard Jeanneney, le macabre vétéran du bellicisme, le croque-mort de la jeunesse française, promenait tranquillement sa barbiche maçonnique, sous la vigilante et respectueuse protection de deux argousins de M. Peyrouton. On avait vu Herriot, on attendait Albert Sarraut. [Le youtre] Pierre Masse, grand agent d’Israël pour tout le barreau français, venait d’obtenir une audience du Maréchal, et en avait reçu, disait-on, le plus bienveillant accueil.
Il fallait choisir. Après la grande secousse, les hommes reprenaient leurs nouvelles places.
Dans le monde de la politique et des journaux, sauf quelques isolés vraiment courageux, résolus à combattre dans le secteur gouvernemental, et quelques autres pourvus par hasard d’une fonction où il leur semblait encore possible de travailler, tout ce qui possédait quelque conviction « fasciste » et antijuive regagnait Paris.
J’annonçai mon départ. On me blâma amicalement. On s’effraya de mon audace. Aller à Paris, quelle expédition risquée ! On me regardait avec un mélange d’envie et d’effroi, comme un rond-de-cuir sexagénaire et asthmatique dévisageant un jeune aventurier.
On m’accablait brusquement de promesses et d’offres. On me proposait à brûle-pourpoint la direction du poste radiophonique de Dakar. Je songeais à l’énergie dont on disait rempli le gouverneur Boisson, au beau travail que l’on pourrait faire là-bas, au premier rang du combat antigaulliste. Malgré la nostalgie de plus en plus aiguë des quais de Seine, j’acceptai. Vingt-quatre heures plus tard, l’amiral Platon, ministre des Colonies, apprenait et m’apprenait que le poste était confié depuis plusieurs jours à je ne sais plus quel faisan. J’avais été encore bien ingénu en me figurant que les bandes anglophiles toléreraient mon départ là-bas.
C’était pour moi la dernière expérience.
Depuis quelques jours, sous ses averses glacées, Vichy faisait un gros accès de fièvre. Gillouin, le cancrelat huguenot, écrivain public attitré de l’État, venait de produire un grisâtre mandement que le maréchal Pétain était allé lire à la radio. Mais on annonçait que Gaston Bergery, l’une des vedettes du parti des « collaborateurs », assiégeait le cabinet du Maréchal, qu’il avait déjà franchi les plus inquiétants barrages et qu’il allait faire accepter un texte fameux au chef de l’État. Et il y avait encore de bons bougres pour s’extasier sur le « style Pétain », quand le vieux soldat était tiré le lundi par sa manche droite vers les microphones, et le jeudi par sa manche gauche.
Il se pourrait cette fois qu’il y eût du neuf. Maurras surgissait dans Vichy, la barbe pleine de courroux, et s’engouffrait à l’hôtel du Parc pour admonester, défier, interdire. Maurras fulminant, ce n’était pas un mauvais signe.
Le Maréchal lisait en effet le nouveau message, ressemblant au précédent comme Mein Kampf àl’ Imitation de Jésus-Christ, le
Weitere Kostenlose Bücher