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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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J’en rendais grâce au génie du Führer, renversant usages et poncifs et qui créait de l’histoire comme au temps du Camp du Drap d’or et du radeau de Tilsit. Il était admirable que le premier personnage étranger qui se mît au train de ces mœurs nouvelles et superbes fût un vieux gentleman à la Dickens, épris de pêche à la ligne et pétri de respectabilité.
    J’augurais bien de ce voyage. L’honnête M. Chamberlain pouvait crever la ridicule légende d’un Hitler démentiel en acceptant de le voir face à face. J’aurais aimé savoir que le Führer s’était mis en frais de compréhension et de courtoisie pour son britannique visiteur. Nous respirions. Les optimistes, parmi lesquels je me comptais résolument, marquaient des points. C’était l’essentiel.
    Mais la fameuse entrevue n’avait rien résolu. On retombait dans les colloques ministériels, les navettes Paris-Londres, les discours ambigus, les manœuvres obliques. J’assurais toujours que des négociations traînant ainsi en longueur ne pourraient pas s’achever tragiquement. Mais il apparaissait de plus en plus que chaque nouveau délai était employé par des hommes fort exercés à brouiller les cartes. Le 23 septembre au soir, un jeudi, je compulsais fiévreusement le monceau des dernières dépêches auprès de la table de Maurras, dans la petite imprimerie crasseuse del ’Action Française. Chamberlain était à Godesberg. Mais son avion avait déjà trop servi, il n’avait plus de prestige. Nous apprenions, consternés, que le vieux monsieur de Londres et Hitler restaient chacun sur une rive du Rhin, retranchés dans leurs positions, et qu’ils ne communiquaient que par des billets laborieux.
    Nous attendions de quart d’heure en quart d’heure, penchés sur la « printing » d’Havas, le télégramme annonçant enfin que le père Chamberlain traversait le fleuve. Le télégramme ne venait pas. Nous savions du reste que la rencontre ne nous apporterait plus un vrai soulagement.
    La Tchécoslovaquie annonçait sa mobilisation générale.
    * * *
    Nous parlions depuis deux ans à Je Suis Partout de la guerre juive et démocratique. Nous en connaissions à merveille la doctrine, les agents et les préparatifs. Nous avions accueilli avec une joie et une admiration sans limites les Bagatelles pour un massacre de Céline. Nous en savions des pages et cent aphorismes par cœur.
    Certains de nous s’étonnaient quelquefois que la véhémence de notre pacifisme, remplissant la moitié de notre journal et del ’Action Française, ne valût pas à notre bord les vastes suffrages qu’avaient recueillis autrefois le briandisme, le socialisme antimilitariste et genevois. Je n’en étais pas autrement surpris. L’abrutissement des cerveaux français, la confusion des idées et des sentiments les plus simples étaient tels qu’il existait une paix « pour la gauche » et une paix « pour la droite ». La paix à l’usage des démagogues et du prolétariat se prêchait par d’énormes insanités. On la garantissait perpétuelle et universelle. Ses apôtres, qui connaissaient leur métier, ne s’embarrassaient pas de scrupules logiques. Ils préconisaient froidement la plus sauvage guerre civile comme remède à la guerre bourgeoise. Ils avaient su confondre la paix avec l’abolition de la caserne et la fin des galonnards. Ils avaient l’immense avantage de flatter l’animal populaire dans sa candide sottise et dans ses instincts. Pour nous, nous avions le tort d’être des pacifistes intelligents. Nos écrits réclamaient une certaine paix, dans le temps et dans l’espace, parce que notre pays n’avait plus les moyens de conduire victorieusement une guerre, et que nous répugnions à souhaiter une révolution nationale issue d’une défaite.
    Sans doute avions-nous eu aussi le tort de batailler trop tôt et trop à fond pour la paix alors qu’elle ne courait pas de risques vraiment graves, pendant les sanctions et pendant les affaires d’Espagne. Nos arguments s’étaient émoussés à l’usage. Pour ma part, et je n’étais pas le seul, je ne croyais pas très sérieusement à la réalité d’une guerre sous un régime aussi déconfit que le nôtre. Je l’imaginais mal accouchant d’un tel événement.
    Mais la guerre cessait de n’être que le plus beau thème de propagande et de littérature vengeresse. Elle était suspendue bel et bien sur nos têtes.
    Tout se conjuguait pour nous la rendre

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