Les Décombres
et comme de juste les deux Juifs du cabinet. Nous luttions pied à pied sur notre propre terrain contre un épouvantable complot de presse : L’ Ordre, L’ Epoque, L’ Aube, Aux Écoutes, La Lumière, L’ Europe Nouvelle, Ce Soir, L’Humanité, cafards, binoclards de loges, vendus professionnels, porte-plumes de Moscou. Le communiqué le plus anodin devenait lourd de présages. On s’assombrissait en apprenant que M. Comert et M. Jacques Kayser avaient pris l’avion de Londres en compagnie de M. Bonnet et de M. Daladier ; on savait que ces deux lieutenants devaient être là pour surveiller leurs ministres, au nom du Quai d’Orsay où le complot de la guerre comptait ses plus zélés serviteurs.
* * *
Tous les détails des événements prouvaient l’existence de la conjuration. Au regard du parti de la guerre, toutes les démarches de conciliation devenaient un forfait à l’honneur. Trente spadassins de l’encrier rappelaient chaque matin vertement M. Neville Chamberlain aux principes de la fierté britannique. À son envol pour Berchtesgaden, ils avaient tranché par leur mauvaise humeur sur la joie de la foule. Le canotage et le jeu des petits papiers de Godesberg nous irritaient parce que nous sentions Chamberlain indécis, souhaitant la paix, semblait-il bien, mais reculant devant le geste catégorique qui assurerait son salut. Le parti de la guerre, lui, ne se gênait plus pour vitupérer la patience du vieil Anglais. Il criait à l’humiliation insupportable. Chamberlain devenait pour lui le domestique du Barbare et l’opprobre de l’Union Jack. Le bellicisme ne dissimulait même plus sa hâte à couper les ponts, son aversion pour tout répit, toute rencontre nouvelle qui risquait de résoudre cette crise trop longue par un vulgaire compromis.
Le parti de la paix, de son côté, se trouvait devant un danger imprévu : être au bord de la guerre par le plus absurde des paradoxes. Entre les bases de négociations acceptées par chacun, y compris les Tchèques, et l’état présent de la discussion, les différences étaient absolument négligeables. Toutes les grandes lignes d’un accord étaient admises. Godesberg le confirmait. On ergotait sur des questions de délais et de formes. Se pouvait-il qu’on déchaînât un conflit effroyable pour d’aussi infimes détails ? Mais plus la guerre devenait diplomatiquement inconcevable, plus la machine de guerre se montait, gagnait du terrain, obstruait de sa masse l’horizon. Au moment où l’objet du malentendu apparaissait dérisoire, nos négociateurs s’avouaient à bout d’arguments, ou mieux on se liguait pour les en persuader. Cela s’imposait à nos amis et à moi avec une évidence éclatante. Notre sang en brûlait de fureur. Mais le parti de la guerre défigurait et brouillait tout systématiquement. Il poussait toujours plus avant son offensive, au milieu d’un écran de fumées qui devenait d’heure en heure plus impénétrable pour les naïfs.
Gesticulant, vociférant des cris d’assaut, Henri de Kerillis caracolait en tête de la troupe des incendiaires. Tout le désignait pour ce rôle : sa vénalité éhontée, sa frénésie pathologique, le dévergondage de sa cervelle. Mais le drapeau tricolore qu’il brandissait si haut menaçait d’entraîner une foule d’honnêtes imbéciles.
La droite avait pu parvenir à une espèce de mol unisson pour geindre contre Blum rogneur de dividendes. Il ne fallait point compter qu’elle se regroupât, même aussi falotement, contre la plus inepte des guerres. Chaque jour nous révélait quelque défaillance nouvelle du côté des nationaux. On leur criait : la République vous appelle. Il ne leur venait même pas à la tête de savoir si vraiment une armée d’invasion pressait notre frontière ou si la France n’était pas plutôt précipitée par les épaules sur une pente épouvantable où nous pouvions encore la retenir. Le vieux coup de clairon jacobin secouait leurs ventres de bourgeois et cela leur tenait lieu de raison. Au nom des convenances, les bien-pensants s’indignaient que l’on pût pactiser avec cet énergumène de Hitler, comme ils avaient réprouvé nos pointes irrévérencieuses pour des personnages d’aussi vaste surface que ces messieurs Rothschild et Louis Dreyfus. Le sort de la France allait se jouer sur des enfantillages sentimentaux, que dis-je ! sur des phénomènes gastriques.
Quand elle ne soutenait pas sans vergogne le parti de la
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