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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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eussent pesé les chances des champions avant un grand combat de boxe. On rencontrait des hommes, qui n’étaient ni les plus sots ni les plus méchants, envisager sans sourciller l’imminence pour nous des pires hécatombes.
    Mais l’imbécillité d’une telle catastrophe demeurait à mon sens l’argument de poids. Dans la nuit du 23 au 24, nous avions appris le rappel de « certains spécialistes », les fascicules 2 et 3. Cela pouvait n’être encore qu’une mesure de détail, un moyen de chantage supplémentaire pouvant ressembler à une précaution.
    Robert Brasillach était notre premier mobilisé. Il rejoignait un état-major dans un patelin mal défini, peut-être du côté de Lille, peut-être du côté de Nancy. Je passai presque toute la journée suivante avec lui à voguer de café en café, à battre en rond le pavé du quartier Latin. Nous ne pouvions pas tuer autrement ces heures fatidiques. Pour moi, depuis une semaine, j’étais à la dérive, incapable d’ouvrir un livre, de m’enfermer une heure chez moi.
    Cependant, Brasillach prenait la chose avec toute la bonne humeur possible. Nous étions tous les deux désorbités plutôt qu’accablés par ce départ. Nous avions la tête trop lasse pour dire un seul mot neuf, mais il nous fallait encore démonter et redémonter le mécanisme des événements, nous ressasser encore nos raisons d’espérer.
    À Saint-Germain-des-Prés, des paysans du parti de Dorgères sortaient d’un congrès voisin. Je les entrepris aussitôt. Ils ne voulaient pas la guerre, mais si on avait besoin d’eux, ils feraient leur devoir comme ceux de 14, et leurs orateurs venaient de le déclarer. Impossible d’en tirer quoi que ce fût d’autre.
    Nous buvions encore un verre à la terrasse des « Deux-Magots ». Le soir commençait à tomber sur le clocher de l’église. Nous nous sentions envahis d’une amère lassitude de tant de connerie humaine. Tout cela était à hausser mille fois les épaules. Je quittais Brasillach comme un ami qui doit partir pour une corvée morose et stupide. Mais je lui dis un énergique et joyeux au revoir. Je l’assurais que nous nous retrouverions avant peu de jours pour rigoler de cette farce. Ce n’étaient pas des mots de circonstance. J’en avais la conviction.
    Pourtant, à chaque coin de rue, on croisait des gars musettes au dos et godillots aux pieds. Cela faisait vraiment beaucoup de « spécialistes ».

CHAPITRE IV -
AU SECOURS DE LA PAIX
    Le même soir, à la gare de l’Est, c’était bel et bien une mobilisation. Une tourbe compacte obstruait la place. Quelques amoureux s’étreignaient lamentablement dans des angles de portes. Beaucoup d’autres piétinaient, plutôt abasourdis que douloureux.
    Dans la gare, c’était une cohue immonde. Pas un ordre, pas un planton. À peine davantage quelque regard d’intelligence ou de colère sur le gigantesque chromo du départ de 1914, qui racontait au-dessus de cette foule vingt ans d’histoire démentielle.
    Inutile de chercher encore une illusion. Tous ces gens-là partaient bien à la guerre. En tout cas, ils en étaient sûrs. Nous avions souvent imaginé un tel soir, soulevé de révolte, celle que nous redoutions ou celle que nous attendions. La réalité nous montrait ce bétail.
    On heurtait à chaque pas des corps d’ivrognes affalés au milieu des quais dans leurs dégueulasseries. Il y en avait jusqu’en travers des voies. Les officiers chargés de valises et de cantines enjambaient ça furtivement. Un gavroche s’amusait à les tutoyer au passage : « Tu comprends, demain matin, c’est eux qui me feront ch… Alors, pendant qu’on a le temps, hein ? » Mais la blague parisienne était trop pauvre et forcée pour me soulager un peu.
    L’énormité du désastre m’accablait de tristesse. Je tournais de groupe en groupe au hasard. Tous les âges étaient incroyablement confondus. Les hommes ne comprenaient rien à ce mystère. Un grand bougre blond et osseux exhibait à la ronde son livret militaire : « Tu te rends compte ! Quarante-deux ans ! Et ousque je vais ? Rohrbach ! Cent cinquante-troisième de biffe.
    — Mais tu es peut-être frontalier ?
    — Moi ? Je suis de La Varenne-Saint-Hilaire.
    — Tu as peut-être une spécialité.
    — Ben quoi ? J’étais à la mitraille, dans l’active, aide-chargeur. C’est une spécialité rare ? Ah ! tu parles ! Cent cinquante-troisième de biffe. Quarante-deux ans ! à

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