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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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nécessaire.
    Maurras du reste était en train de nouer lui-même le bâillon sur ses magnifiques clameurs. Quelques heures avant, pour être plus libre en face de son papier, pour laisser courir sans scrupules sa plume, il venait de réclamer la censure. Il se déchargeait ainsi de sa responsabilité sur l’État, en ruinant ce qui lui restait de pouvoir. Le soir même, son article lui revenait caviardé aux trois quarts. Nous étions bien désormais livrés, bouche cousue et membres ligotés, à notre sort.
    La meute des confrères [, les ignobles confrères que trois ans plus tard aucun châtiment n’a encore frappé,] pouvait prêcher, sans qu’aucune voix ne vînt troubler son unisson, la résistance au bluffeur Hitler, piétiner toute velléité de négociation, et crier joyeusement que mieux valait en finir.
    * * *
    Jeudi 31 août 1939. Nous ne savions pas que, depuis deux jours, Hitler avait accepté de converser avec un plénipotentiaire polonais, que malgré les démarches pressantes faites d’heure en heure par Bonnet, Berlin attendait toujours l’homme de Varsovie, que lorsqu’au soir enfin, Beck se déciderait à envoyer Lipsky à la Wilhelmstrasse, ce ne serait pas, malgré sa formelle promesse, avec les pleins pouvoirs, mais comme simple ambassadeur.
    Nous ne pouvions pas savoir à quel point tout était perdu parce que l’Angleterre avait décidé la guerre, que depuis huit jours elle pressait la mobilisation de ses vassaux du continent pour qu’il ne fût plus possible de revenir en arrière, pour que le désarmement de ces énormes masses devînt une condition de pourparlers irréalisable et qu’elle allait donc poser. Nous ignorions que l’Angleterre attisait soigneusement le feu à Varsovie, excitait la vanité et le chauvinisme des Polonais par ses assurances, qu’elle laissait les jours s’ajouter aux jours non dans l’espoir de voir luire une éclaircie, mais pour que l’orage s’accumulât, que ces conciliabules, ces notes, ces discours n’étaient qu’un infâme scénario ourdi par le Foreign Office pour détruire une à une les chances de compromis, couper à l’un et l’autre parti toute retraite, refuser à Hitler toute autre solution que le coup de force, attendre l’irréparable en ménageant à l’impérialisme britannique d’hypocrites alibis.
    On étalait devant nos yeux l’irascibilité de la presse allemande. Mais on nous cachait qu’à Londres tous les journaux étaient autant de brûlots, que Chamberlain était sommé de passer à la guerre par quarante millions d’insulaires déchaînés.
    On ne nous dissimulait pas moins soigneusement que la paix était là si nous la voulions saisir, que Mussolini, conscient, lui, de tout ce qu’il allait perdre dans cette catastrophe, offrait comme un an avant son entremise à la France et à l’Angleterre ; que Bonnet avait déjà rédigé l’acceptation de la France, mais que Londres, lorsque son tour viendrait de décider, ferait savoir à onze heures du soir que ses ministres dormaient, que leur repos était auguste et qu’ils ne pourraient point répondre avant le lendemain. L’expérience de Munich avait sinistrement servi. Les bellicistes connaissaient le danger pour leurs fins de révéler aux peuples ces grands espoirs. Ils entendaient, cette fois, protéger l’abominable secret des complots où dix hommes jouent avec la vie et la mort de dix millions d’êtres, et conduisent librement leur affreuse manœuvre : tout hâter pour la guerre, tout ajourner pour la paix.
    Penchés sur nos dépêches fumeuses et laconiques, nous ignorions tout de cela, et les glorieux baudets porteurs des confidences rares n’en savaient pas plus long. Vraiment, que savions-nous ? Les frontières du pays étaient verrouillées, l’armée, la population entière sur le grand pied d’alerte, la presse muselée, les journaux étrangers devenus introuvables. C’était cela que huit jours plus tard, on appellerait la claire résolution du peuple français.
    Malgré tout, dans le vide de cette cloche pneumatique, il nous restait encore l’usage de nos pauvres entendements enfiévrés. Non, une politique de bonne foi ne s’entourait pas de tels nuages et d’un tel silence. La longueur même de la crise nous renseignait. On ne nous ferait jamais croire, alors que tant et tant d’heures nous étaient laissées, que l’Europe pouvait glisser ainsi lentement vers la mort sans qu’aucun remède ne surgît. Dans la soirée

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