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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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du 31, quelques lumières sur la proposition italienne avaient fini par percer. Deux ou trois âmes ingénues, encore pleines des souvenirs de Munich, se demandaient pourquoi on n’en claironnait pas à grand fracas la nouvelle. La nuit tombée, j’étais à la censure, dans le tohu-bohu [assez déshonorant] de l’Hôtel Continental : on caviardait à tour de bras dans toute la presse les moindres allusions à la démarche de Mussolini.
    Je comprenais trop bien. Deux heures plus tard, je griffonnais dans mes notes : « Je croyais dépassées nos théories de septembre dernier sur la guerre juive et anglaise, l’avidité allemande première désormais en cause… Si demain soir nous étions en guerre, je ne pourrais jamais admettre que Hitler en portât seul la responsabilité. »
    Le sentiment de voir la France s’engager dans une telle aventure avec un gouvernement aussi piteux mettait le comble à notre angoisse. Maurras ne se cachait pas de professer pour Daladier le mépris et la méfiance que j’avais depuis toujours. Il me disait ce soir-là : « L’homme n’est pas méchant, mais médiocre (j’ajoutais : échauffé). Il n’a aucune idée. Il manœuvre, en parlementaire rompu à ces opérations, pour écarter ceux de ses ministres qui en ont ou pourraient en avoir. N’oubliez pas que Daladier et sa cour, c’est le café du Commerce : pas de Martigues, mais de Carpentras. »
    Nous persévérions depuis dix jours dans l’ahurissante fiction qui consistait à tenir pour un homme d’honneur ce [cet écœurant] poivrot, à le conjurer de liquider enfin la clique communiste, en butte à une indignation générale. Nous venions d’obtenir la saisie de L’Humanité et de Ce Soir. Mais nous ne savions pas que les fameux missionnaires de Moscou, Max Hymans, l’ambassadeur Naggiar, Doumenc, le malin à trois étoiles, venaient de débarquer, apportant aux ministres la conviction que la Russie nous aurait rejoints avant trois mois.
    * * *
    Je m’étais couché le 1 er  septembre à cinq heures du matin, en ne doutant plus que nous parvenions à un dénouement, qu’il devenait impossible de l’éluder davantage. Je n’avais pas de radio. Vers midi et demi, je ne savais rien. J’étais descendu chercher de quoi déjeuner. Ce fut un garçon de chez Potin qui m’annonça l’entrée des Allemands en Pologne. Un instant plus tard, j’allais lire Paris-Midi que je n’avais pas trouvé au kiosque, au milieu d’un groupe de bougres en train de boire [stupidement] leur apéritif.
    Les radios de la rue déversaient les nouvelles des premiers bombardements sur Lemberg et Varsovie. Les détails horrifiques pleuvaient déjà. Ma concierge était en larmes.
    J’avais eu à peine quelques secondes d’émotion. Nous étions préparés de trop longue date à cet instant-là.
    Faisons comme Stendhal, le bon Grenoblois, n’hésitons pas à braver le ridicule : j’eus presque aussitôt un mouvement de gaîté. Je saluai les inconnues de la guerre avec l’entrain d’un conscrit de l’an II. Je voulais oublier mon dégoût et mes plus fermes raisons, pour l’espoir d’on ne savait quelle configuration miraculeuse des événements surgissant dans l’orage des combats. Tout valait mieux que la vase et le perpétuel crachin dont nous sortions. Il allait enfin se passer quelque chose de décisif. Ce serait au prix de la guerre. Tant pis. J’aurais sincèrement voulu être enrôlé sur l’heure.
    J’ai noté dans ma feuille de température de ce jour-là : « Pas la moindre colère contre Hitler, beaucoup plus contre tous les politiciens français qui ont aidé à son triomphe. »
    Véronique, ma femme, venait de débarquer l’avant-veille d’Alsace, toute pimpante et fraîche. Le branle-bas du « Kriegsgefahrzustand » ne l’avait arrachée qu’à la dernière heure aux sapins qu’elle aimait tant. Roumaine d’origine, plus antisémite encore que moi, elle avait dans les souvenirs de sa petite enfance les images de la bataille, et montrait tout à coup devant la guerre judaïque une humeur très sombre. Je croyais bon de manifester une insouciance blagueuse. Cependant il me paraissait indispensable qu’elle partît se réfugier chez ma mère, dans mon village du Dauphiné. J’allai à la gare de Lyon, pour voir s’il était encore possible de voyager. Les trains étaient envahis par d’innombrables réservistes qui allaient rejoindre les dépôts de la Bourgogne ou des Alpes.

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